đŸŽ™ïž Anne-Karine Bouzier-Sore : des recherches sur le mĂ©tabolisme cĂ©rĂ©bral au classement Forbes France

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Anne-Karine Bouzier-Sore est directrice de recherche au CNRS. En mai 2025, la chercheuse rattachĂ©e Ă  l’UniversitĂ© de Bordeaux a appris qu’elle Ă©tait laurĂ©ate d’un palmarĂšs fĂ©minin « Forbes France 50 over 50 », rĂ©compensant « des femmes influentes, engagĂ©es, visionnaires […] pour leur talent, leur impact et leur audace ». Cette distinction lui a notamment Ă©tĂ© accordĂ©e pour ses travaux de recherche sur le mĂ©tabolisme cĂ©rĂ©bral ainsi que pour son engagement dans la promotion de la vulgarisation scientifique. Le Gircor a l’honneur de vous proposer une interview d’Anne-Karine Bouzier-Sore oĂč vous en dĂ©couvrirez plus sur ses recherches, sa nomination Forbes et son avis sur la recherche animale.

Vous avez récemment été distinguée dans le tout premier palmarÚs Forbes France 50 Over 50
 Comment avez-vous accueilli cette distinction ? Que représente-t-elle pour vous, tant sur le plan personnel que professionnel ?

Anne-Karine Bouzier-Sore @Anne Lanta

Anne-Karine Bouzier-Sore : J’ai Ă©tĂ© trĂšs honorĂ©e et surprise d’apparaĂźtre dans le palmarĂšs Forbes France 50 Over 50. Sur le plan personnel, cette distinction reprĂ©sente une belle reconnaissance pour un parcours guidĂ© par la curiositĂ©, la persĂ©vĂ©rance et l’équilibre entre vie de laboratoire et engagements. Je suis notamment violoniste dans l’orchestre Molto AssaĂŻ, qui donne rĂ©guliĂšrement des concerts caritatifs, et Ă©galement investie dans la transmission et la vulgarisation scientifique.

Professionnellement, le prix met en lumiĂšre l’importance de la recherche fondamentale — j’étais la seule chercheure CNRS parmi les 50 femmes sĂ©lectionnĂ©es — ainsi que la place des femmes dans la science. J’espĂšre que cette reconnaissance contribuera Ă  montrer aux jeunes filles et jeunes femmes qu’aucune barriĂšre ne doit les freiner. Le monde de la recherche leur tend les bras.

J'espĂšre montrer aux jeunes filles qu'aucune barriĂšre ne doit les freiner.
Le monde de la recherche leur tend les bras.

Vos travaux sur le métabolisme cérébral portent notamment sur le rÎle du lactate. Pouvez-vous nous en dire plus ?

A.-K.B-.S.: Nous Ă©tudions comment le cerveau produit et utilise l’énergie, et en particulier le rĂŽle du lactate — une molĂ©cule souvent perçue Ă  tort comme un simple dĂ©chet. Nos travaux montrent que le lactate peut agir comme un substrat Ă©nergĂ©tique important pour les neurones et qu’il joue un rĂŽle protecteur aprĂšs une agression comme l’hypoxie-ischĂ©mie nĂ©onatale. En pratique, l’administration contrĂŽlĂ©e de lactate, ou la modulation des voies mĂ©taboliques associĂ©es, amĂ©liore la survie neuronale et favorise une meilleure rĂ©cupĂ©ration fonctionnelle dans nos modĂšles expĂ©rimentaux.

Les modÚles animaux ont été essentiels pour aborder
des questions que les approches in vitro ne peuvent pas entiĂšrement reproduire.

Quel rÎle ont joué les animaux dans vos travaux ?

A.-K.B-.S. : Les modĂšles animaux ont Ă©tĂ© essentiels pour aborder des questions que les approches in vitro ne peuvent pas entiĂšrement reproduire, car nous Ă©tudions la complexitĂ© des interactions entre diffĂ©rents populations de cellules du cerveau, la dynamique mĂ©tabolique Ă  l’échelle de l’organisme, ainsi que l’évaluation fonctionnelle (motrice et comportementale). Nous utilisons principalement le modĂšle de nouveau-nĂ© de rat pour Ă©tudier l’hypoxie-ischĂ©mie nĂ©onatale, car il reproduit plusieurs aspects cliniques et permet d’évaluer la rĂ©cupĂ©ration Ă  court, moyen et long terme.

Nos dĂ©couvertes s’appuient toutefois sur une stratĂ©gie intĂ©grĂ©e : en plus des modĂšles animaux, nous utilisons des cultures cellulaires et, grĂące Ă  un recrutement rĂ©cent, nous pourrons bientĂŽt exploiter des organoĂŻdes — des versions simplifiĂ©es de cerveaux in vitro.

Cependant, sans les modĂšles animaux, il aurait Ă©tĂ© trĂšs difficile — voire impossible — de dĂ©montrer l’effet neuroprotecteur du lactate dans le cadre de l’hypoxie-ischĂ©mie nĂ©onatale, l’une des premiĂšres causes de mortalitĂ© chez les nouveau-nĂ©s, pour laquelle il n’existe actuellement aucun traitement pharmacologique. Seul le modĂšle animal nous a permis de valider notre approche et de montrer l’impact fonctionnel global. Ces travaux ouvrent dĂ©sormais la voie Ă  des essais visant Ă  tester cette thĂ©rapie chez le bĂ©bĂ© dans les deux ans Ă  venir !

Comment appliquez-vous les 3R (Remplacement, Réduction, Raffinement) dans vos recherches ? Quelles méthodes alternatives avez-vous employées ?

A.-K.B-.S. : Les 3R sont au cƓur de notre dĂ©marche expĂ©rimentale :

  • Remplacement : chaque fois que cela est possible, nous utilisons des approches in vitro — cultures cellulaires, co-cultures neurones/astrocytes, et bientĂŽt des organoĂŻdes issus de cellules souches humaines — pour tester les mĂ©canismes molĂ©culaires et les hypothĂšses prĂ©liminaires avant toute expĂ©rimentation animale ;
  • RĂ©duction : nos Ă©tudes sont statistiquement planifiĂ©es afin de n’utiliser que le nombre minimum d’animaux nĂ©cessaires pour obtenir des conclusions fiables. Nous privilĂ©gions les mesures longitudinales (NDLR : observations sur le long terme des mĂȘmes animaux) et les techniques d’imagerie non invasives, comme l’IRM qui permet d’évaluer les lĂ©sions cĂ©rĂ©brales sans prĂ©lever le cerveau. Cela nous permet Ă©galement de suivre les mĂȘmes animaux au fil du temps pour les tests comportementaux, rĂ©duisant ainsi le nombre total d’animaux tout en augmentant la robustesse des rĂ©sultats ;
  • Raffinement : nous optimisons les protocoles chirurgicaux, l’analgĂ©sie et les conditions d’hĂ©bergement pour rĂ©duire la douleur et le stress. Nous privilĂ©gions les techniques d’imagerie non invasives et sĂ©lectionnons les tests comportementaux les plus doux pour les animaux.

À moyen terme, j’imagine une recherche oĂč les animaux resteront nĂ©cessaires pour certaines questions, mais leur usage sera rĂ©duit et plus raffinĂ© grĂące aux outils alternatifs.

Est-ce que vous voyez Ă©voluer les pratiques en matiĂšre d’expĂ©rimentation animale ? Comment envisagez-vous le futur de la recherche ?

A.-K.B-.S. : Les pratiques Ă©voluent rapidement — Ă©thiquement, techniquement et rĂ©glementairement. On observe plusieurs tendances complĂ©mentaires :

  • ProgrĂšs rapides des modĂšles humains in vitro (organoĂŻdes cĂ©rĂ©braux, systĂšmes microfluidiques « organ-on-a-chip ») qui permettent de mieux modĂ©liser certaines maladies et de rĂ©duire le recours aux animaux pour des phases exploratoires ;
  • Imagerie et biomarqueurs non invasifs de haute rĂ©solution (IRM, PET-scan, imagerie optique) qui permettent des suivis longitudinaux et rĂ©duisent ainsi le nombre d’animaux nĂ©cessaires ;
  • IntĂ©gration du big data et de l’intelligence artificielle pour mieux analyser des jeux de donnĂ©es complexes et prĂ©dire des effets avant expĂ©rimentation ;
  • Renforcement des exigences Ă©thiques et rĂ©glementaires, favorisant la transparence, la rĂ©plicabilitĂ© et la justice expĂ©rimentale.

Je tiens Ă©galement Ă  saluer le travail remarquable de notre directrice du Service Commun des Animaleries, qui a rĂ©digĂ© et publiĂ© sur le site de l’UniversitĂ© de Bordeaux la charte de transparence, afin d’informer le grand public sur l’expĂ©rimentation animale et les mesures prises pour protĂ©ger les animaux.

À moyen terme, j’imagine une recherche plus hybride : les animaux resteront nĂ©cessaires pour certaines questions systĂ©miques et translationnelles, mais leur usage sera rĂ©duit et rendu plus raffinĂ© grĂące aux outils alternatifs. MĂȘme si l’on peut se fĂ©liciter de la rĂ©duction du nombre d’animaux utilisĂ©s, la physiologie animale et la complexitĂ© de l’organisme font qu’il ne sera pas possible, dans un avenir proche, de s’en passer totalement. Il faut trouver le juste Ă©quilibre entre leur protection et le bon dĂ©roulement de la recherche, car un blocage excessif pourrait avoir des consĂ©quences dĂ©sastreuses pour la recherche en France et en Europe, et surtout compromettre la dĂ©couverte de nouvelles thĂ©rapies, avec des rĂ©percussions directes sur la santĂ© humaine.

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