đŸŽ™ïž Des modĂšles 3D in vitro pour repenser le dĂ©veloppement des vaccins

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MalgrĂ© des dĂ©cennies de progrĂšs, des dĂ©fis persistent dans l’élaboration de vaccins et les processus de dĂ©veloppement restent longs et coĂ»teux. À l’heure actuelle, les essais prĂ©cliniques reposent sur des modĂšles animaux qui ne reproduisent pas parfaitement les interactions hĂŽtes-pathogĂšnes chez l’humain et offrent donc une prĂ©visibilitĂ© limitĂ©e. Toutefois, ceux-ci sont aujourd’hui la seule approche prĂ©clinique rĂ©glementaire pour apprĂ©hender l’efficacitĂ© d’un vaccin. Dans un contexte oĂč la rapiditĂ© et la prĂ©cision sont essentielles face aux menaces sanitaires mondiales, il demeure crucial de poursuivre l’amĂ©lioration des stratĂ©gies actuelles.

En ce sens, Inno4Vac est un projet ambitieux qui vise Ă  rĂ©volutionner le dĂ©veloppement des vaccins. L’une des innovations qu’il explore est l’usage de modĂšles 3D in vitro dĂ©rivĂ©s de cellules humaines. Martine Chabaud-Riou, immunologiste chez Sanofi Vaccins et coordinatrice de l’axe de recherche dĂ©diĂ© Ă  ces modĂšles, nous dĂ©crit cette innovation et les dĂ©fis soulevĂ©s.

Ce qu'il faut retenir

Martine Chabaud-Riou

Pouvez-vous nous présenter le projet Inno4Vac, votre rÎle et celui de Sanofi dans ce cadre ?

Martine Chabaud-Riou : Le consortium Inno4vac a dĂ©marrĂ© en 2021 pour une durĂ©e de six ans. Il s’agit d’un partenariat europĂ©en public-privĂ© pilotĂ© par l’Innovative Health Initiative qui vise Ă  accĂ©lĂ©rer le dĂ©veloppement et la fabrication des vaccins. Ce projet rassemble 41 partenaires, incluant des institutions acadĂ©miques, des autoritĂ©s de santĂ© et des industries pharmaceutiques. Parmi ces derniĂšres, GlaxoSmithKline (une multinationale britannique) et Sanofi sont les principaux financeurs industriels.

Inno4Vac s’appuie sur un programme ambitieux de 38,5 millions d’euros qui explore et exploite les derniĂšres avancĂ©es en matiĂšre d’immunologie, de modĂ©lisation informatique de la rĂ©ponse immunitaire et de l’efficacitĂ© des vaccins, et de la modĂ©lisation informatique de la biofabrication des vaccins et des tests de stabilitĂ©. Pour ma part, je suis co-leader d’un axe thĂ©matique dĂ©diĂ© au dĂ©veloppement de modĂšles 3D in vitro basĂ©s sur des cellules humaines qui visent Ă  prĂ©dire de maniĂšre plus fiable les mĂ©canismes immunitaires de protection. 

En quoi consiste plus particuliĂšrement le projet que vous coordonnez ?

M. C-R. : Le projet dĂ©veloppe des modĂšles tridimensionnels qui imitent les muqueuses humaines et nous permettent d’évaluer la rĂ©ponse immunitaire. Les muqueuses sont les voies d’entrĂ©e des diffĂ©rents pathogĂšnes dans notre corps, donc le lieu oĂč l’infection commence. Comme nos muqueuses ont des compositions cellulaires trĂšs diffĂ©rentes, nous avons Ă©laborĂ© plusieurs modĂšles afin de reproduire les muqueuses gastro-intestinales, respiratoires et urogĂ©nitales.

L’objectif est de pouvoir imiter la structure du tissu tel qu’il est dans notre corps, d’y introduire un agent pathogĂšne pour analyser l’infection et d’étudier les mĂ©canismes de dĂ©fenses qui doivent ĂȘtre mis en place pour pallier ces infections. Pour chaque type de muqueuse, le projet a ciblĂ© des virus ou des bactĂ©ries qui les atteignent plus particuliĂšrement, comme par exemple la grippe sur la partie respiratoire, la bactĂ©rie Chlamydia trachomatis responsable de la chlamydiose sur la partie urogĂ©nitale et la bactĂ©rie Clostridium difficile qui provoque des diarrhĂ©es pour la partie digestive.

Le projet dĂ©veloppe des modĂšles tridimensionnels qui imitent les muqueuses humaines et nous permettent d’évaluer la rĂ©ponse immunitaire.

Quels types de modÚles 3D développez-vous ?

M. C-R. : Le projet explore trois familles de modĂšles, Ă  commencer par les organoĂŻdes. Pour les produire, les Ă©quipes utilisent des cellules souches placĂ©es dans un gel nutritif fournissant un environnement tridimensionnel leur permettant de croĂźtre et de s’organiser. En ajoutant des facteurs de croissance et des substances spĂ©cifiques au milieu de culture, les cellules souches se diffĂ©rencient en divers types cellulaires et s’organisent spontanĂ©ment pour former des structures 3D qui imitent les tissus humains. Cela nous permet d’obtenir au final une sorte de mini-muqueuse.

Par exemple, dans l’intestin, les cellules souches sont localisĂ©es dans des petites cavitĂ©s que l’on appelle des cryptes. Le projet transforme ces cellules en diffĂ©rents types de cellules spĂ©cifiques qui constituent la muqueuse gastro-intestinale. Cette composition cellulaire est trĂšs diffĂ©rente d’une muqueuse Ă  l’autre. C’est pourquoi il est important d’orienter l’expression des cellules et, au final, mimer au mieux la muqueuse Ă©tudiĂ©e.

Le deuxiĂšme modĂšle est l’interface air-liquide. Celui-ci imite toujours la structure de l’organe in vitro Ă  partir de cellules humaines, mais aussi son environnement fluidique. Il mime donc les conditions physiologiques. Par exemple, une partie de nos poumons est exposĂ©e Ă  l’air, tandis que l’autre est en contact avec le sang. Ce modĂšle est un peu plus proche des conditions d’évolution de l’organe et du tissu.

La derniĂšre catĂ©gorie de modĂšle est l’organe-sur-puce. Il s’agit d’un systĂšme biomimĂ©tique miniature qui simule les fonctions essentielles d’un tissu, en combinant des cellules humaines avec une architecture micro-technologique qui recrĂ©e un environnement similaire Ă  celui de l’organisme vivant. Ce modĂšle permet de mieux maintenir en vie les cellules et de se rapprocher finalement de la situation rĂ©elle in vivo.

©Martine Chabaud-Riou

Quels sont les avantages de ces modÚles 3D in vitro par rapport aux modÚles in vivo dans le développement des vaccins ?

M. C-R. : Les cellules de chaque espĂšce prĂ©sentent des particularitĂ©s et les rĂ©cepteurs de l’infection ne sont pas les mĂȘmes. De plus, les mĂ©canismes d’action du systĂšme immunitaire peuvent ĂȘtre diffĂ©rents. Pour toutes ces raisons, le modĂšle d’infection in vivo, donc chez l’animal, ne reproduit pas exactement l’infection qui se produit chez l’humain.

Au contraire, nos modĂšles, dĂ©rivĂ©s de cellules humaines, sont plus reprĂ©sentatifs. De plus, la reproductibilitĂ© des expĂ©riences est plus importante avec des modĂšles cellulaires qu’avec des animaux, car chaque animal est diffĂ©rent. La quantitĂ© de donnĂ©es que l’on peut gĂ©nĂ©rer avec des modĂšles in vitro nous permet d’obtenir des rĂ©sultats statistiquement reprĂ©sentatifs, alors que pour des raisons Ă©thiques, nous ne pouvons clairement pas augmenter le nombre d’animaux dans nos Ă©tudes.

Finalement, ces modĂšles 3D in vitro devraient permettre de sĂ©curiser diffĂ©rentes Ă©tapes de dĂ©veloppement d’un vaccin en se rapprochant des rĂ©ponses rĂ©elles de l’humain. À terme, l’objectif est bien de remplacer l’animal par ces outils plus prĂ©dictifs, plus reproductibles et moins coĂ»teux.

L'objectif est de remplacer l’animal par ces outils
plus prédictifs, plus reproductibles et moins coûteux.

Lors de quelles phases de dĂ©veloppement d’un vaccin, ces modĂšles pourraient-ils ĂȘtre utilisĂ©s ?

M. C-R. : Les modĂšles 3D in vitro pourront remplacer l’animal Ă  chaque maillon de la chaĂźne de dĂ©veloppement d’un vaccin, car les modĂšles animaux peuvent ne pas reflĂ©ter la pathogenĂšse de la maladie humaine ou l’immunitĂ© humaine aux agents pathogĂšnes. En pratique, les nouveaux modĂšles expĂ©rimentaux pourront servir Ă  la partie exploratoire, lors de laquelle nous Ă©tudions les processus de dĂ©veloppement et de progression d’une maladie et les mĂ©canismes immunitaires de protection. Ils fourniront des informations plus approfondies sur l’interaction hĂŽte-pathogĂšne, ce qui aidera Ă  identifier des cibles potentielles pour les vaccins.

Les modĂšles 3D pourraient aussi servir lors de la phase prĂ©clinique, quand nous Ă©valuons des candidats vaccins. Dans ce cas, ils aideront Ă  l’étape de prĂ©sĂ©lection de potentiels candidats vaccins avant Ă©valuation en phase clinique. Des modĂšles plus adaptĂ©s prĂ©sentant une rĂ©ponse immunitaire plus pertinente fourniront des donnĂ©es prĂ©cliniques plus prĂ©cises. Ils pourraient servir Ă  l’étude des rĂ©ponses immunes induites par les vaccins : les mĂ©canismes d’action des anticorps ou le rĂŽle de cellules immunes.

En tant qu’industriel, nous avons aussi une partie production et contrĂŽle, oĂč nous essayons de raffiner ou de remplacer les modĂšles animaux. Nous utilisons une approche qui vise Ă  garantir la qualitĂ© et la sĂ©curitĂ© des vaccins tout au long de leur processus de fabrication. Celle-ci utilise des systĂšmes analytiques in vitro pour surveiller les paramĂštres de qualitĂ© Ă  chaque Ă©tape de la production. Les modĂšles 3D en cours de dĂ©veloppement nous permettraient d’aller encore plus loin dans nos actions de remplacement des modĂšles animaux.

Bien qu’ils soient plus reprĂ©sentatifs des conditions physiologiques humaines,
les modÚles 3D in vitro ne peuvent pas entiÚrement recréer la complexité
d’un organisme entier.

Quels sont les avantages et les limites des différents modÚles utilisés dans la recherche vaccinale ? Comment se complÚtent-ils ?

M. C-R. : Bien qu’ils soient plus reprĂ©sentatifs des conditions physiologiques humaines, les modĂšles 3D in vitro ne peuvent pas entiĂšrement recrĂ©er la complexitĂ© d’un organisme entier. Ils sont efficaces pour Ă©tudier des interactions locales dans les tissus, mais ne peuvent pas simuler des effets systĂ©miques, tels que les rĂ©ponses immunitaires sur diffĂ©rents organes simultanĂ©ment ou les rĂ©actions Ă  long terme sur l’ensemble du systĂšme immunitaire. La construction de ces modĂšles exige une comprĂ©hension fine des interactions cellulaires et de l’architecture tissulaire, ce qui peut ĂȘtre un obstacle technique.

Les modĂšles in silico utilisent des simulations informatiques et des algorithmes pour prĂ©dire et optimiser le dĂ©veloppement de vaccins. Ces approches permettent de modĂ©liser les rĂ©ponses immunitaires humaines face Ă  des agents pathogĂšnes et de tester virtuellement les hypothĂšses scientifiques. Cependant, les rĂ©sultats des simulations doivent ĂȘtre validĂ©s expĂ©rimentalement, et certaines rĂ©ponses biologiques complexes restent difficiles Ă  modĂ©liser.

Les modĂšles in vivo demeurent, quant Ă  eux, incontournables, car ils permettent d’étudier la rĂ©ponse immunitaire dans un organisme entier, oĂč plusieurs systĂšmes interagissent (immunitaire, nerveux, endocrinien, etc.). Ils permettent d’observer les rĂ©ponses Ă  des vaccinations rĂ©pĂ©tĂ©es et la durabilitĂ© de l’immunitĂ©.

Actuellement, chaque type de modÚle a son rÎle à jouer dans la recherche vaccinale, et leur utilisation combinée, incluant les études animales et les méthodes alternatives, est essentielle pour maximiser les avantages tout en obtenant des résultats pertinents et transposables à la situation in vivo.

Quelques chiffres

Quels défis réglementaires et techniques devez-vous relever pour que les nouveaux modÚles en cours de développement soient, un jour, adoptés ?

M. C-R. : En phase prĂ©clinique, la rĂ©glementation nous impose de vĂ©rifier qu’un vaccin est bien capable d’induire une rĂ©ponse immunitaire en adĂ©quation avec celle attendue chez l’humain. Pour cela, les textes des autoritĂ©s de santĂ© imposent aujourd’hui le recours Ă  des modĂšles in vivo. Comme elles sont dĂ©cisionnaires, il est essentiel d’embarquer les autoritĂ©s de santĂ© si l’on veut que les modĂšles 3D que nous dĂ©veloppons soient, un jour, acceptĂ©s en tant qu’alternative aux modĂšles animaux.

Dans le cadre du projet, nous avons donc mis en place un groupe de travail qui leur prĂ©sente nos modĂšles et nos avancĂ©es. En retour, les autoritĂ©s de santĂ© nous orientent pour davantage creuser des points qui pourraient freiner l’adoption rĂ©glementaire de ces modĂšles. Par exemple, nous avons beaucoup travaillĂ© sur la standardisation des procĂ©dĂ©s de prĂ©lĂšvement, de caractĂ©risation des cellules, de conservation, bref des modes opĂ©ratoires nĂ©cessaires Ă  la production de nos modĂšles.

L’idĂ©e au final sera d’avoir un protocole expĂ©rimental standardisĂ© qui dĂ©crit chaque Ă©tape et une façon de faire unique (milieu de culture, Ă©quipement, etc.), puis de former les opĂ©rateurs Ă  ces manipulations. Pour chaque Ă©tape, nous devons aussi avoir des indicateurs sur la viabilitĂ© des cellules, leur nombre, l’expression de certaines caractĂ©ristiques qui nous permettent de passer Ă  la phase suivante. Tout cela est en cours de dĂ©veloppement.

Le projet Inno4Vac s’achĂšvera en 2027. Quelles vont ĂȘtre les prochaines Ă©tapes de vos travaux ?

M. C-R. : Plus d’une dizaine de modĂšles d’infection ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©s sur l’ensemble des muqueuses d’intĂ©rĂȘt pour le projet. Le projet a donc montrĂ© qu’ils pouvaient bien ĂȘtre infectĂ©s par les diffĂ©rents pathogĂšnes et que ceux-ci se multipliaient Ă  l’intĂ©rieur, dĂ©gradaient les cellules ou induisaient la production de marqueurs chimiques comme cela est observĂ© in vivo.

La prochaine Ă©tape sera d’ajouter l’élĂ©ment immunitaire, soit des anticorps pour empĂȘcher que le pathogĂšne n’entre dans la cellule, ou bien des cellules impliquĂ©es dans le mĂ©canisme d’action de la rĂ©ponse de guĂ©rison chez l’humain. Au final, trois modĂšles – un par muqueuse – seront retenus. Des Ă©chantillons humains, qui sont reprĂ©sentatifs de vraies infections ou de rĂ©ponses vaccinales, serviront ensuite Ă  valider les modĂšles en les testant avec des conditions similaires Ă  celles rencontrĂ©es lors d’une infection naturelle. Cela permettra de mieux prĂ©dire l’efficacitĂ© des vaccins en situation rĂ©elle.

Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure d’annoncer
quand les modĂšles 3D prendront le pas sur les modĂšles animaux.

À quel horizon ces modĂšles pourraient-ils ĂȘtre autorisĂ©s par les autoritĂ©s de santĂ© ?

M. C-R. : Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure d’annoncer quand les modĂšles 3D prendront le pas sur les modĂšles animaux. Il faut encore du temps pour accroĂźtre leur maturitĂ© technique et scientifique et changer les rĂ©glementations. Les discussions sont engagĂ©es avec les autoritĂ©s de santĂ©. La prochaine Ă©tape sera d’ailleurs de dĂ©terminer ensemble la meilleure façon d’adapter nos modĂšles Ă  des tests prĂ©cliniques. Il faut garder en tĂȘte qu’un vaccin se destine Ă  des personnes saines. Le bĂ©nĂ©fice doit donc ĂȘtre sans risque. ForcĂ©ment, les contraintes en sont d’autant plus importantes pour notre sĂ©curitĂ© Ă  tous.

Ces Ă©tapes pavent nĂ©anmoins le chemin qui mĂšnera Ă  des utilisations encore plus innovantes. L’objectif dans le futur sera d’utiliser ces modĂšles pour Ă©tudier diffĂ©rentes catĂ©gories de population, ethnies, Ăąges, Ă©tats de santĂ©, etc. Nos rĂ©ponses immunitaires dĂ©pendent de beaucoup de facteurs dont nos caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques, nos rĂ©cepteurs cellulaires ou encore des protĂ©ines HLA (antigĂšne leucocytaire humain) prĂ©sentes Ă  la surface de nos cellules. Ces Ă©tudes plus ciblĂ©es seront mieux adaptĂ©es pour traiter l’ensemble de la population.

Propos recueillis pour le Gircor par AnaĂŻs Culot

Le projet Inno4Vac a reçu un financement de IMI2 dans le cadre de l’accord de subvention n° 101007799 (Inno4Vac) et reçoit le soutien du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union europĂ©enne et de l’EFPIA.

IMI website: www.imi.europa.eu

Cette communication reflĂšte le point de vue de l’auteur et ni l’IMI, ni l’Union europĂ©enne, l’EFPIA ou les partenaires associĂ©s ne sont responsables de l’utilisation qui pourrait ĂȘtre faite des informations contenues ici.

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