Au cœur de la recherche scientifique, l’utilisation des animaux soulève des enjeux complexes, mêlant santé, éthique, réglementation et innovation. Pour explorer les avancées dans le domaine des méthodes alternatives et mieux comprendre les efforts déployés en France, nous avons interrogé Athanassia Sotiropoulos, directrice du Centre Français des 3R (FC3R). Dans cet échange, elle partage les défis, les succès et les ambitions du FC3R.
Ce qu'il faut retenir
- Le FC3R est un groupement d'intérêt scientifique ayant pour mission de promouvoir les 3R ;
- Le FC3R participe à l'animation de réseaux français entre les scientifiques et les ONG ;
- Le FC3R a créé de nombreux outils pour favoriser le partage des données et des compétences ;
- Le FC3R, de par son statut de groupement d'intérêt scientifique, est actuellement uniquement subventionné par des fonds publics.

Pouvez-vous vous présenter ?
Je viens du monde de la recherche. Après une thèse et un stage post doctoral sur la signalisation cellulaire, j’ai été recrutée en 2000 à l’Inserm en tant que chercheuse et j’ai réorienté mes recherches sur l’étude de la plasticité du muscle squelettique adulte. J’ai travaillé à l’IRNEM (Institut fédératif de recherche Necker) puis à l’Institut Cochin où je co-animais avec Pascal Maire une équipe de recherche intitulée « Développement neuromusculaire, Génétique et Physiopathologie ». Fin 2021, j’ai été recrutée pour prendre la direction du FC3R.
Pouvez-vous présenter le FC3R ?
Le FC3R a été fondé en novembre 2021 par un groupement d’opérateurs majeurs de la recherche publique à la demande du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche sous la forme d’un groupement d’intérêt scientifique (GIS). Le GIS FC3R aspire à renforcer la mise en œuvre des 3R – Remplacer, Réduire, Raffiner l’utilisation des animaux de laboratoire – en France au travers de l’éducation, de la valorisation d’une recherche responsable et innovante, et d’une communication transparente. Le GIS favorise la synergie et la collaboration entre la recherche académique et industrielle, tout en étant à l’écoute du monde associatif et de la société civile. Enfin, le FC3R est le point de contact national avec les différents acteurs des 3R à l’international. Il fait notamment partie du réseau européen COST IMPROVE (How 3Rs can improve the quality of biomedical research).
Le FC3R est financé par des contributions annuelles de ses membres fondateurs : Inserm, CNRS, INRAe, CEA, Institut Pasteur, Inria, UDICE, France Université ; avec le soutien des ministères en charge de la recherche et de l’agriculture. Le budget n’est pas pérennisé d’une façon pluriannuelle. La vocation du FC3R est de s’élargir à d’autres acteurs de la recherche académique, à des agences de régulation et au secteur privé, l’Institut Curie a ainsi rejoint le FC3R en 2025.
L’équipe est installée au sein de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (Maisons-Alfort, 94), à proximité d’expertises pédagogiques, vétérinaires et d’unités de recherche.
Son activité est structurée autour :
- d’une équipe opérationnelle composée de sept personnes qui assure la coordination et l’animation de l’activité du GIS ;
- d’un comité de pilotage, présidé par Didier Samuel, qui comprend des représentants des membres fondateurs et des ministères de tutelle qui soutiennent financièrement le GIS et décident de ses stratégies et actions ou prononcent des arbitrages les concernant ;
- d’un comité scientifique organisé autour de 14 experts et de leurs suppléants, dans différents domaines scientifiques (méthodes substitutives, organismes modèles variés, modélisation informatiques) et présidé par Audrey Ferrand. Il constitue l’instance d’évaluation des appels à projets, des prix 3R et des FC3R Short Notes mis en place par le GIS ;
- d’un conseil d’orientation et de réflexion présidé par Louis Schweitzer et composé de personnalités issues de la société civile (ONG), de chercheurs dans le domaine des sciences humaines et sociales et de scientifiques impliqués dans la recherche sur le vivant.
Le FC3R aspire à renforcer la mise en œuvre des 3R - Remplacer, Réduire, Raffiner l'utilisation des animaux de laboratoire - en France au travers de l’éducation, de la valorisation d’une recherche responsable et innovante, et d’une communication transparente.
Que sont les 3R ?

Faudrait-il y ajouter d’autres « R » ? Si oui, lesquels ?
Le principe des 3R s’enrichit constamment de nouveaux concepts et de notions complémentaires. Au-delà des trois R historiques, d’autres concepts centraux pour une recherche éthique sont mis en avant comme la « Responsabilité » de l’expérimentateur vis-à-vis de l’animal ; la « Robustesse », c’est à dire la validité des expériences ; le « Replacement », la retraite des animaux. Ainsi, toute recherche doit tenir compte du bien-être animal, essayer de réduire voire de supprimer l’utilisation d’animaux, présenter une valeur scientifique et se trouver en adéquation avec les attentes de la société.
Quelles sont vos réussites à ce jour ? Vos projets en cours ?
Notre principale réussite à ce jour est d’être connus et reconnus par la communauté scientifique, les politiques et le monde associatif. Nous sommes dorénavant l’interlocuteur privilégié pour toutes les questions relatives aux 3R. Nous participons activement à l’animation de réseaux au niveau national (PICTURE, enseignement) comme international (réseau européen COST IMPROVE, Education Hub).
D’autres part, nous menons différentes initiatives pour faire mieux connaître les 3R : publication d’actualités sur notre site internet, mise en place d’une newsletter, mise en ligne d’un catalogue de formations 3R, mise en ligne d’un annuaire de compétentes en méthodes substitutives (AREA) afin de permettre à la communauté scientifique d’identifier des compétences en méthodes non-animale et promouvoir l’émergence de collaborations, et mise à disposition d’une base de ressources documentaires francophone sur les 3R (FRIA).

[Les short notes] sont des productions scientifiques évaluées par des pairs et pourraient ainsi être prises en compte pour l'évaluation du personnel de recherche et des étudiants.
Nous organisons aussi des webinaires, avons créé des prix 3R « recherche » et « culture du soin ».
Une de nos actions principales reste le financement de projets scientifiques 3R (70% de notre budget) afin de faire avancer les 3R en France du point de vue de la recherche mais également par la mise à disposition d’outils collaboratifs et de partage (formation, partage de produits biologiques et de données). À ce jour nous avons finalisé trois appels à projets et financé 35 projets. En 2024, nous avons lancé un appel à projets sur le thème « Innover, Remplacer, Partager » dont les résultats sont attendus en avril 2025.
[Les short notes] sont des productions scientifiques revues et pourraient ainsi être prises en compte pour l'évaluation du personnel de recherche et des étudiants.
Dans nos projets à venir, il nous appartient de faire vivre et de faire connaître tout ce que nous avons déjà mis en place, notamment AREA et FRIA ainsi que les FC3R Short Notes. Nous prévoyons de constituer une interface en ligne pour faciliter l’ingénierie de projet et le design expérimental. D’autres appels à projets sont prévus, notamment un pour se former in situ aux méthodes non-animales.
Parmi les autres initiatives, nous avons également récemment lancé d’autres projets assez pointus comme les méthodes d’administration du tamoxifène chez les rongeurs ou l’utilisation d’anticorps recombinants dans les plateformes d’immunologie-histologie.
Enfin, nous allons finaliser l’état des lieux des méthodes substitutives en France en 2023, organiser la restitution des travaux du conseil d’orientation et de réflexion (COR) du FC3R et promouvoir le préenregistrement.
Et surtout, je suis fière de vous annoncer que nous avons organisé les premières journées françaises des 3R qui se déroulaient les 21 et 22 novembre 2024. La prochaine édition de ces journées est prévue au printemps 2026.
Avez-vous observé des changements dans le recours aux animaux et aux méthodes alternatives ces dernières années ?
Les animaux sont utilisés de façon complémentaire avec des méthodes non-animales. Ainsi, d’après notre état des lieux des approches substitutives en France, 75% des scientifiques sondés ayant recours aux méthodes non-animales, utilisent de façon complémentaire des modèles animaux tandis que 22% d’entre eux ne travaillent qu’avec des modèles non-animaux et 3% des espèces non-règlementées.
Il y a un dynamisme autour des méthodes substitutives de type organoïdes et organes-sur-puce ces dernières années.
Il y a encore beaucoup de progrès à faire concernant les produits d’origine animale comme les anticorps ou le sérum utilisé dans les milieux de culture. Des initiatives sont lancées aux Pays-Bas sur des milieux de culture sans sérum (centre 3R Utrecht) et le FC3R collabore avec des plateformes d’histologie en France pour évaluer l’efficacité d’anticorps recombinants (d’origine non-animale) par rapport à un certain nombre d’anticorps d’origine animale couramment utilisés dans ces plateformes. Le partage des résultats obtenus au sein de la communauté aura un impact sur l’adoption et l’utilisation d’anticorps d’origine non-animale par la communauté scientifique.
Pensez-vous que la création du FC3R a accéléré ces changements ? Sans cette création, où pensez-vous qu’on en serait aujourd’hui ?
Le dynamisme autour des méthodes substitutives qui s’observe depuis quelques années nécessite des financements et une collaboration entre les chercheurs. Le FC3R répond à ces deux besoins et accélère donc nécessairement l’usage des méthodes substitutives. Sans le FC3R qui sensibilise aussi les acteurs de la recherche, le changement serait ralenti et des méthodes substitutives pourraient rester inconnues par manque de diffusion de l’information.
Est-ce que l’idée selon laquelle les financements alloués aux méthodes alternatives se limitent au budget du FC3R est vraie ?
Non, ce n’est pas vrai. A titre d’exemple, l’état a récemment financé un PEPR (programme et équipement prioritaire de recherche) sur les organoïdes et les organes sur puce dans le cadre du plan France 2030 à hauteur de 48 millions d’euros sur 6 ans ! L’ANR (Agence nationale de la recherche) est en train de répertorier les projets utilisant des méthodes non-animales parmi leurs lauréats… Aujourd’hui, tous les acteurs de la recherche animale investissent dans les méthodes alternatives. Leur répertoriage est fait par axe thérapeutique et c’est pour cela qu’ils ne ressortent pas comme des projets alternatifs, mais des projets de recherche pour des maladies. Cependant la pérennisation du budget du FC3R est importante afin que nous puissions continuer à soutenir des projets de recherche, de partage et de formation qui oeuvre pour le Remplacement et la Réduction de l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques.
Quelques chiffres
- 70% : c'est la part du budget annuel du FC3R dédiée au financement de projets
- 35 projets ont déjà été financés par le FC3R
- 75% des scientifiques ayant recours aux méthodes alternatives travaillent aussi avec des modèles animaux d'après un état des lieux du FC3R