đŸŽ™ïž Le rĂŽle essentiel des animaux dans la formation des chirurgiens

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La chirurgie est une discipline exigeante qui demande des annĂ©es d’apprentissage avant qu’un praticien puisse rĂ©aliser une intervention en toute autonomie. DerriĂšre chaque chirurgien expĂ©rimentĂ© se cache un long parcours de formation, oĂč la thĂ©orie et la pratique s’entrelacent pour garantir prĂ©cision, sĂ©curitĂ© et maĂźtrise des gestes techniques.

Mais comment apprend-on Ă  opĂ©rer ? Quelles sont les Ă©tapes indispensables avant de pouvoir intervenir sur un patient ? Et quel rĂŽle jouent aujourd’hui les nouvelles technologies et les modĂšles vivants dans cet enseignement ?

Dans cet entretien, Thomas Hubert, vĂ©tĂ©rinaire, professeur et directeur du dĂ©partement hospitalo-universitaire de recherche et d’enseignement Ă  l’UniversitĂ© de Lille (59), nous Ă©claire sur ce processus rigoureux, les mĂ©thodes employĂ©es et l’évolution des pratiques vers des alternatives rĂ©duisant le recours aux modĂšles animaux.

Ce qu'il faut retenir

Comment devient-on un bon chirurgien et quelles sont les étapes essentielles de son apprentissage ?

Apprendre la chirurgie, c’est un long parcours qui allie connaissances thĂ©oriques et entraĂźnement pratique progressif. Il ne suffit pas de connaĂźtre l’anatomie et les techniques opĂ©ratoires, il faut aussi dĂ©velopper des gestes prĂ©cis et des rĂ©flexes adaptĂ©s.

Un principe fondamental guide toute la formation chirurgicale : “Jamais la premiĂšre fois sur le patient”. Avant de pouvoir intervenir sur un patient (humain), un chirurgien doit s’ĂȘtre rigoureusement entraĂźnĂ© et maĂźtriser ses gestes.

C’est pourquoi la formation suit un processus en plusieurs Ă©tapes, de l’apprentissage thĂ©orique jusqu’aux interventions sous supervision, systĂ©matiquement par compagnonnage (c’est-Ă -dire encadrĂ© par un mentor expĂ©rimentĂ©). L’animal n’est jamais utilisĂ© en premier, et ce n’est qu’en dernier recours qu’il est intĂ©grĂ© Ă  la formation, lorsque toutes les autres mĂ©thodes ont Ă©tĂ© exploitĂ©es et validĂ©es.

Thomas Hubert

Avant d’envisager de pratiquer sur un modĂšle vivant, quelles sont les Ă©tapes que doit suivre un futur chirurgien ?

Avant de poser ses mains sur un patient ou un animal, un Ă©tudiant doit d’abord maĂźtriser les bases et passer par plusieurs phases d’apprentissage.

Tout commence par une formation thĂ©orique approfondie. Les Ă©tudiants consacrent de nombreuses heures Ă  apprendre l’anatomie humaine, les maladies et les diffĂ©rentes techniques chirurgicales. Ils Ă©tudient aussi des cas concrets et observent des chirurgiens en train d’opĂ©rer pour comprendre comment se dĂ©roule une intervention.

L’étape suivante est l’observation directe en bloc opĂ©ratoire. Les Ă©tudiants assistent aux interventions chirurgicales (soit en observant, soit en s’habillant pour faire aide-opĂ©ratoire) pour se familiariser avec l’ambiance du bloc et la maniĂšre dont chaque geste est exĂ©cutĂ©.

En parallĂšle, les Ă©tudiants sont formĂ©s Ă  la simulation sur modĂšles numĂ©riques et virtuels. GrĂące Ă  la rĂ©alitĂ© virtuelle et Ă  des simulateurs numĂ©riques, ils peuvent s’entraĂźner Ă  des gestes prĂ©cis comme la laparoscopie ou la microchirurgie, sans aucun risque pour un patient et sans avoir recours Ă  l’animal. Ces outils leur permettent de rĂ©pĂ©ter les mouvements jusqu’à ce qu’ils les maĂźtrisent.

Les Ă©tudiants passent alors Ă  des modĂšles physiques inertes, c’est-Ă -dire des mannequins ou des organes synthĂ©tiques conçus pour reproduire le comportement des tissus humains. Certains peuvent ĂȘtre imprimĂ©s en 3D et permettent de s’exercer Ă  des interventions spĂ©cifiques.

Ce n’est qu’une fois toutes ces Ă©tapes validĂ©es que l’entraĂźnement sur modĂšles animaux peut ĂȘtre envisagĂ©.

AprĂšs toutes ces Ă©tapes, une fois leur deuxiĂšme cycle d’études achevĂ©, les Ă©tudiants devenus internes de spĂ©cialitĂ© commencent Ă  assister activement les chirurgiens seniors au bloc opĂ©ratoire. Sous la supervision du professionnel diplĂŽmĂ© et aguerri, ils rĂ©alisent d’abord des gestes simples comme la suture de plaies, avant d’aborder des actes plus complexes au fur et Ă  mesure de leur cursus d’internat, jusqu’à l’autonomisation.

MalgrĂ© toutes ces alternatives, pourquoi est-il encore nĂ©cessaire d’utiliser des modĂšles animaux ?

Les progrĂšs technologiques ont permis de limiter l’utilisation des animaux, mais certaines Ă©tapes restent impossibles Ă  reproduire avec des outils inertes.

Quand on opĂšre un patient, son corps rĂ©agit. Il saigne, ses tissus se rĂ©tractent, ses organes bougent. Aujourd’hui, aucun simulateur ne permet encore d’imiter parfaitement ces rĂ©actions.

Prenons l’exemple de la chirurgie cardiovasculaire. Pour apprendre Ă  opĂ©rer un cƓur en mouvement, il faut s’entraĂźner sur un modĂšle vivant. C’est Ă©galement le cas pour certaines interventions de microchirurgie, oĂč la prĂ©cision doit ĂȘtre extrĂȘme, notamment pour reconnecter des nerfs ou des vaisseaux sanguins de quelques millimĂštres de diamĂštre. Il est aussi important d’apprendre Ă  gĂ©rer une hĂ©morragie avant d’intervenir en urgence chez un patient ; Ă  ce jour, aucun modĂšle alternatif robuste n’existe pour apprĂ©hender ce geste dit d’hĂ©mostase chirurgicale Ă  caractĂšre vital.

Cependant, ces entraĂźnements ne sont faits que lorsque c’est absolument nĂ©cessaire. L’objectif est de limiter leur nombre et de s’assurer que chaque modĂšle animal est utilisĂ© dans les meilleures conditions possibles.

L’idĂ©e d’utiliser des animaux en formation suscite des dĂ©bats. Quelles sont les rĂšgles en place pour encadrer cette pratique ?

L’expĂ©rimentation animale dans l’enseignement mĂ©dical est strictement rĂ©glementĂ©e. En Europe, par exemple, elle est encadrĂ©e par la directive 2010/63/UE, qui impose des rĂšgles trĂšs strictes.

Avant d’utiliser un animal, un Ă©tablissement doit justifier son recours et obtenir une autorisation officielle. Un comitĂ© d’éthique indĂ©pendant examine chaque programme et vĂ©rifie que l’entraĂźnement ne peut pas ĂȘtre rĂ©alisĂ© autrement. Le ministĂšre autorise alors en dernier recours les pratiques favorablement avisĂ©es par le comitĂ© d’éthique.

Les établissements doivent aussi respecter le principe des 3R :
‱ Remplacer par des alternatives dùs que c’est possible.
‱ RĂ©duire le nombre d’animaux utilisĂ©s au strict minimum.
‱ Raffiner les techniques pour limiter au maximum la douleur et le stress.

Tout est fait pour que l’utilisation des animaux soit une derniĂšre Ă©tape, justifiĂ©e et optimisĂ©e.

Quelles sont les mesures concrĂštes mises en place pour garantir que les animaux ne souffrent pas ?

Le bien-ĂȘtre animal est une prioritĂ© absolue, et plusieurs mesures sont prises pour garantir des conditions optimales.

Les animaux sont hĂ©bergĂ©s dans des environnements adaptĂ©s, avec des conditions de vie respectant des normes strictes. Ils sont suivis par des vĂ©tĂ©rinaires spĂ©cialisĂ©s et des Ă©quipes techniques expĂ©rimentĂ©es, qui s’assurent de leur Ă©tat de santĂ© avant, pendant et aprĂšs chaque entraĂźnement.

Lorsqu’une intervention est rĂ©alisĂ©e, l’anesthĂ©sie et la prise en charge de la douleur sont obligatoires. Aucune procĂ©dure douloureuse n’est effectuĂ©e sur un animal Ă©veillĂ©. AprĂšs l’opĂ©ration, des mĂ©dicaments antidouleur sont administrĂ©s suffisamment de temps pour garantir leur confort.

Les animaux ne sont jamais utilisĂ©s sur de longues pĂ©riodes et ne subissent pas de souffrances inutiles. Lorsqu’ils ne peuvent plus ĂȘtre rĂ©utilisĂ©s, une euthanasie sans douleur est pratiquĂ©e sous supervision vĂ©tĂ©rinaire et aprĂšs anesthĂ©sie gĂ©nĂ©rale, comme cela est fait la plupart du temps dans les structures vĂ©tĂ©rinaires lors d’euthanasie d’animaux de compagnie pour raisons mĂ©dicales.

Enfin, des formations en Ă©thique animale sont obligatoires pour tous les professionnels qui encadrent ces sessions, afin de s’assurer que chaque geste est fait avec respect et responsabilitĂ©.

Avec les progrĂšs des technologies, peut-on envisager une formation chirurgicale sans recours aux modĂšles animaux ?

C’est un objectif que nous visons mais qui n’est clairement pas atteignable dĂšs aujourd’hui. GrĂące aux nouvelles technologies, le nombre d’animaux utilisĂ©s diminue chaque annĂ©e.

L’intelligence artificielle et la rĂ©alitĂ© virtuelle vont jouer un rĂŽle clĂ© dans les annĂ©es Ă  venir. On travaille aussi sur la bio-impression, qui permettrait de crĂ©er des organes artificiels de plus en plus rĂ©alistes. La simulation a Ă©galement une place prĂ©pondĂ©rante en formation chirurgicale.

Mais pour certaines spĂ©cialitĂ©s, l’apprentissage sur un tissu vivant restera encore nĂ©cessaire. Tant que les alternatives ne sont pas suffisamment avancĂ©es, nous devons trouver un Ă©quilibre entre progrĂšs technologique et formation de qualitĂ©.

Tant que les alternatives ne sont pas suffisamment avancées, nous devons trouver un équilibre entre progrÚs technologique et formation de qualité.

Un dernier mot pour conclure ?

Former un chirurgien, c’est un processus long et exigeant, qui Ă©volue avec les innovations. La formation dite multi-modale (par simulation, sur cadavre et enfin sur animal vivant anesthĂ©siĂ©) demeure essentielle pour couvrir exhaustivement l’apprentissage chirurgical. Aujourd’hui, nous faisons tout pour rĂ©duire l’utilisation des modĂšles animaux et garantir qu’ils ne sont utilisĂ©s que lorsqu’il n’y a aucune autre alternative fiable.

L’avenir est Ă  une formation plus technologique, plus respectueuse du vivant, et toujours guidĂ©e par un seul objectif : garantir la meilleure prise en charge possible pour les patients.

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