🎙️ Le toucher à l’honneur du prix Nobel : entretien avec Ardem Patapoutian

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En 2021, avec David Julius, Ardem Patapoutian a reçu le prix Nobel de médecine pour ses travaux révolutionnaires sur la perception du toucher. Grâce à la découverte des mécanismes moléculaires permettant aux cellules de détecter les stimuli mécaniques — comme la pression, l’étirement ou les vibrations — il a ouvert la voie à une meilleure compréhension de nombreux processus physiologiques fondamentaux. Ses recherches, menées en partie à l’aide de modèles animaux, ont permis d’identifier les protéines responsables de la mécanosensation, un domaine longtemps resté mystérieux.

Au-delà de l’exploit scientifique, ces découvertes suscitent de grands espoirs dans le domaine de la santé : elles promettent de nouvelles approches pour traiter la douleur chronique, les troubles de la vessie, ou encore la régulation de la pression artérielle.

Dans cette interview pour le Gircor, Ardem Patapoutian revient sur l’impact potentiel de ses travaux, le rôle irremplaçable des animaux dans la recherche biomédicale actuelle, et les perspectives offertes par les méthodes alternatives. Il partage également sa vision de l’avenir de la recherche, entre progrès technologiques et questions éthiques.

Ardem Patapoutian
Ardem Patapoutian at Scripps in 2022 by Christopher Michel

Votre prix Nobel récompense une découverte majeure dans la perception du toucher. Quelles applications concrètes peut-on espérer à moyen ou long terme dans le domaine de la santé ?

Ardem Patapoutian : La découverte de la manière dont les cellules perçoivent les stimuli mécaniques ouvre un large éventail de possibilités médicales. À moyen terme, cela inclut une meilleure compréhension et un meilleur traitement de certaines affections où la sensation mécanique joue un rôle central : douleurs chroniques, dysfonctionnements de la vessie, détresses respiratoires. À plus long terme, nos résultats pourraient contribuer au développement de nouvelles thérapies contre les douleurs neuropathiques, et potentiellement dans d’autres domaines comme la fonction vésicale ou la régulation de la pression artérielle.

Les animaux ont joué un rôle important dans vos recherches. Pouvez-vous nous dire lesquels vous avez utilisés, et pourquoi ce choix était nécessaire ?

A.P. : Oui, les modèles animaux – en particulier les souris – ont été essentiels. La mécanoperception est un phénomène complexe, qui implique non seulement des cellules, mais aussi la manière dont les tissus et l’organisme entier réagissent aux forces. Les souris nous ont permis de poser des questions fondamentales dans un système vivant : à quels processus biologiques et à quelles maladies ces protéines sont-elles liées ? Ce sont des questions auxquelles on ne peut pas répondre pleinement avec des cellules isolées ou des modèles informatiques.

Je suis optimiste quant aux progrès réalisés avec les organoïdes, les systèmes “organes sur puce” et les modèles informatiques sophistiqués.

Vous avez sans doute aussi utilisé des méthodes alternatives. Lesquelles, et pourquoi ne sont-elles pas encore suffisantes pour remplacer complètement l’expérimentation animale ?

A.P. : Nous avons utilisé de nombreuses approches non animales : des systèmes de culture cellulaire, des criblages génétiques in vitro. Ces méthodes sont indispensables — elles nous aident à cibler nos hypothèses et à affiner nos expériences. Cependant, elles ne peuvent toujours pas reproduire la physiologie intégrée d’un organisme vivant. Les systèmes sensoriels ne fonctionnent pas de manière isolée ; ils impliquent des interactions à travers le système nerveux, la peau et les organes internes. Pour l’instant, les animaux restent nécessaires pour comprendre ces dynamiques complexes.

Pensez-vous que vous auriez pu faire ces découvertes – et recevoir ce prix Nobel – sans avoir recours aux animaux ?

A.P. : C’est difficile à imaginer. Plusieurs avancées majeures dans notre travail ont nécessité de comprendre comment des modifications génétiques affectent le comportement et la physiologie d’un organisme entier. Dans notre cas, la recherche animale a été indispensable.

La recherche animale responsable et éthique restera un pont essentiel vers l’innovation médicale pour un certain temps. 

Pensez-vous qu’il soit réaliste d’imaginer une science biomédicale totalement sans animaux à l’avenir ? Ou certaines étapes seront-elles toujours liées aux organismes vivants ?

A.P. : Je suis optimiste quant aux progrès réalisés avec les organoïdes, les systèmes “organes sur puce” et les modèles informatiques sophistiqués. Ces approches vont sans aucun doute réduire notre dépendance aux animaux. Mais, au moins pour un avenir prévisible, certaines questions – notamment celles qui impliquent des systèmes biologiques complexes – nécessiteront encore des organismes vivants. Dire si cela sera toujours vrai est difficile, mais je crois que la recherche animale, lorsqu’elle est menée de manière responsable et éthique, restera une passerelle essentielle vers l’innovation médicale pendant encore un certain temps.

Propos recueillis et traduits par le Gircor

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