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Les 3R sont les piliers de la recherche animale et de son Ă©thique. Pourtant, un quatriĂšme R existe dans les textes europĂ©ens : le « Replacement » (ou la rĂ©habilitation). Des associations y sont dĂ©diĂ©es, comme le GRAAL ou bien White Rabbit, pour les plus connues. Mais ce travail est aussi pris Ă  cƓur par les laboratoires utilisant des animaux, avec notamment l’adoption en direct de ces animaux par les Ă©tudiants, les employĂ©s de ces structures ou leurs proches.

Nous avons interrogé Doris Lou Demy, responsable des appels à projets au FC3R et co-fondatrice de White Rabbit, sur le fonctionnement de cette réhabilitation et les bénéfices, tant pour les animaux que pour les humains.

Ce qu'il faut retenir

Qu’est-ce que la rĂ©habilitation ?

Doris Lou Demy : Le replacement, parfois appelĂ© « replacement » ou « rĂ©habilitation », dĂ©signe le fait de donner une autre vie aux animaux utilisĂ©s en recherche, aprĂšs leur passage dans les laboratoires. Aujourd’hui, cela concerne 0,8% des animaux utilisĂ©s dans des procĂ©dures lĂ©gĂšres, soit un peu plus de 16 000 animaux en 2023. Les espĂšces les plus replacĂ©es sont actuellement celles dont les Français se sentent les plus proches : les chiens, les chats et les singes. 

Il est important de rappeler que le replacement est inscrit dans les textes europĂ©ens (directive 2010/63/UE), Ă  l’article 19, et retranscrit dans le droit français dans le Code Rural (R214-112).

Tous les animaux sont-ils éligibles ?

DLD : Non, il y a des conditions prĂ©cises Ă  respecter pour pouvoir replacer un animal. La premiĂšre d’entre elles est Ă©videmment que l’animal soit en bonne santĂ©. Cet Ă©tat doit ĂȘtre attestĂ© par le vĂ©tĂ©rinaire rĂ©fĂ©rent et dĂ©pend des procĂ©dures expĂ©rimentales subies bien sĂ»r, mais aussi de leurs conditions de vie au laboratoire . Enfin, des mesures appropriĂ©es doivent avoir Ă©tĂ© prises pour prĂ©server le bien-ĂȘtre de l’animal.

Ensuite, ces animaux ne doivent prĂ©senter aucun risque pour l’environnement (faune et flore), ni pour les humains. En effet, il faut considĂ©rer l’Ă©cosystĂšme dans lequel on introduit l’animal, pour Ă©viter de perturber un milieu tout entier. On accordera donc une attention particuliĂšre aux statuts sanitaires et gĂ©nĂ©tiques, ainsi qu’aux animaux agressifs par exemple.

Enfin, le replacement doit ĂȘtre dans l’intĂ©rĂȘt de l’animal de laboratoire. Les conditions doivent donc ĂȘtre rĂ©unies pour assurer son bien-ĂȘtre, et cela exclut des filiĂšres comme celles de la viande ou les industries qui pourraient profiter de ces individus.

À la vue de ces trois critĂšres, on comprend bien que ces animaux ne doivent pas avoir Ă©tĂ© utilisĂ©s dans des procĂ©dures trop invasives et sĂ©vĂšres ; les animaux non utilisĂ©s dans des procĂ©dures expĂ©rimentales (contrĂŽles, surplus de reproduction, protocoles annulĂ©s
) sont d’ailleurs Ă©ligibles Ă  la retraite. Toutes les espĂšces peuvent par contre ĂȘtre replacĂ©es.

Le replacement doit ĂȘtre dans l'intĂ©rĂȘt de l'animal de laboratoire.

Comment se déroule une retraite ?

DLD : La procĂ©dure rĂ©glementaire commence par l’établissement utilisateur qui initie une demande auprĂšs de la Direction DĂ©partementale de la Protection des Populations (DDPP) de son dĂ©partement pour obtenir une attestation de placement. Ce document atteste que l’établissement est apte Ă  replacer des animaux (statut sanitaire, agrĂ©ment, visites de contrĂŽles Ă  jour,…).

En fonction des espĂšces concernĂ©es, il peut s’agir d’une attestation triannuelle, annuelle ou dĂ©livrĂ©e au cas par cas.
Puis, concrĂštement, lorsqu’il y a des animaux Ă  replacer, il faut envoyer cette attestation Ă  la DDPP du lieu d’arrivĂ©e, c’est-Ă -dire du territoire oĂč se trouve l’adoptant ou la structure d’accueil, accompagnĂ©e :

  • d’un certificat vĂ©tĂ©rinaire Ă©mis par un vĂ©tĂ©rinaire rĂ©fĂ©rent, attestant de la bonne santĂ© des animaaux concernĂ©s ;
  • d’un programme de placement dĂ©taillĂ©, Ă©tabli en collaboration avec la Structure chargĂ©e du Bien-Être Animal (SBEA), la structure d’accueil et Ă©ventuellement le vĂ©tĂ©rinaire rĂ©fĂ©rent. Ce programme prĂ©cise notamment l’identification des animaux concernĂ©s, les modalitĂ©s de transport, le profil de l’adoptant ou de la structure d’accueil, les conditions d’hĂ©bergement prĂ©vues, et les mesures sanitaires mises en place.

La DDPP du lieu d’arrivĂ©e dĂ©livre alors une autorisation de placement.

Les associations de replacement comme le Graal et White Rabbit prennent en charge ces dĂ©marches administratives, collaborer avec l’une d’entre elles facilite donc vraiment la procĂ©dure pour les membres du laboratoire.

Qui peut adopter ces animaux ?

DLD : Tout dĂ©pend de l’espĂšce de l’animal. En ce qui concerne les espĂšces dites « de compagnie », comme les chiens, les chats ou bien les furets, les lapins et les rongeurs, les laboratoires et les associations s’adressent Ă  monsieur et madame Tout le monde. D’ailleurs, c’est bien souvent les employĂ©s mĂȘme des universitĂ©s, leurs proches, ou bien les Ă©tudiants ayant cĂŽtoyĂ©s ces animaux durant leurs travaux pratiques, qui les adoptent directement sans passer par les associations de replacement. Pour certaines espĂšces, un certificat de capacitĂ© peut ĂȘtre nĂ©cessaire.

Pour d’autres animaux – exotiques ou de rente par exemple, leur nouveau lieu de vie sera un lieu adaptĂ© comme un parc zoologique, une rĂ©serve ou une ferme pĂ©dagogique car leurs besoins nĂ©cessitent des compĂ©tences, des formations et des structures adaptĂ©es.

La remise en liberté est aussi une option pour certains animaux non domestiqués (poissons, oiseaux
). Cela est également bien encadré.

Quel impact pour les animaux ?

DLD : Le premier avantage est Ă©videmment de ne pas euthanasier ces animaux et ainsi, prolonger leur vie – les lapins par exemple peuvent vivre jusqu’à 10-15 ans, alors qu’ils sont gĂ©nĂ©ralement utilisĂ©s quelques mois en laboratoire.

Ensuite, bien que les normes europĂ©ennes assurent des conditions de vie qui satisfont les besoins des animaux de laboratoires, ces derniers bĂ©nĂ©ficient tout de mĂȘme grandement de la vie Ă  l’extĂ©rieur : pas de cage ou plus grande, sorties Ă  l’extĂ©rieur, jeux et jouets, vie de famille au sein d’un foyer, vie en communautĂ© avec des congĂ©nĂšres ou d’autres animaux, alimentation naturelle
 C’est une vie plus riche et stimulante pour ces animaux que le laboratoire !

Enfin, je mentionnerais le fait qu’il puisse y avoir un suivi de la part des associations, ou bien aussi de la part des laboratoires eux-mĂȘmes. Ces mĂȘmes organismes font en sorte d’adapter au mieux l’animal Ă  adopter Ă  la famille d’accueil, Ă  son domicile, aux personnalitĂ©s et au vĂ©cu de ses membres, tout cela dans le but de donner les meilleures conditions de vie Ă  ces animaux. Ce suivi s’effectue gĂ©nĂ©ralement Ă  vie, et White Rabbit a par exemple dĂ©jĂ  rĂ©cupĂ©rĂ© des animaux dont les adoptants ne pouvaient plus s’occuper.

La retraite est-elle bénéfique pour le personnel des laboratoires ?

DLD : Bonne question ! Bien que ce ne soit pas la premiĂšre chose Ă  laquelle on pense quand on parle de rĂ©habilitation, le bien-ĂȘtre des employĂ©s est pourtant tout autant positivement touchĂ© que celui des animaux.

La premiĂšre raison est que cela donne au personnel – notamment d’animalerie – une autre option pour le devenir des animaux que l’euthanasie dans l’enceinte des animaleries. Cela apporte de l’espoir, de la reconnaissance et donne un sens supplĂ©mentaire Ă  leur travail : ne plus seulement prendre soin des animaux dans les laboratoires, mais aussi les prĂ©parer pour une Ă©ventuelle vie de famille en dehors de ces structures.

Ceci participe de fait Ă  diminuer l’apparition de la fatigue compassionnelle chez les soigneurs et les zootechniciens, et par consĂ©quent moins de mal-ĂȘtre, de dĂ©tachement – mais aussi une plus grande attention et encore plus de soin pour tous les animaux, y compris ceux qui resteront Ă  l’animalerie.

La retraite apporte de l’espoir, de la reconnaissance et donne un sens supplĂ©mentaire au travail des animaliers : ne plus seulement prendre soin des animaux dans les laboratoires, mais aussi les prĂ©parer pour une Ă©ventuelle vie de famille en dehors de ces structures

Avez-vous autre chose à apporter sur le sujet qui vous tiendrait à cƓur ?

DLD : Ayant moi-mĂȘme travaillĂ© en laboratoire, je voudrais rappeler Ă  mes consƓurs et Ă  mes confrĂšres notre rĂŽle central dans le replacement. C’est une perspective qu’on devrait toujours avoir Ă  l’esprit, dĂšs les Ă©tapes de conception du projet et de demande de financement.

Cela doit aussi ĂȘtre une raison supplĂ©mentaire pour fournir aux animaux encore plus d’efforts 3R, de prĂ©sence et d’enrichissements afin de maximiser les chances d’observer des retraites rĂ©ussies… et que les animaux continuant leur vie dans les laboratoires puissent profiter des mĂȘmes attentions.

Pour mon dernier mot, je souhaite vraiment insister sur le fait que la retraite est quelque chose de bĂ©nĂ©fique pour tous les acteurs de cette action – tant les animaux que ceux qui travaillent Ă  leur contact – et qu’elle mĂ©rite d’ĂȘtre menĂ©e. Pour cela, parlez-en avec vos collĂšgues, accueillez des animaux, soutenez les associations, etc.

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