PrĂ©sent chez 95% de la population mondiale, le virus d’Epstein-Barr est susceptible d’entraĂźner des cancers chez certaines personnes. Des scientifiques de l’UnitĂ© de recherche franco-allemande « Microbiologie et maladies infectieuses » (Inserm/DKFZ) viennent de dĂ©couvrir par quel mĂ©canisme ce virus induit un risque de cancer. Henri-Jacques DelĂ©cluse, co-auteur de l’Ă©tude en question et directeur de cette unitĂ© nous explique cette dĂ©couverte.
Au vu des rĂ©cents articles dans la presse grand public, le virus d’Epstein-Barr (EBV) ne semble pas trĂšs connu de la population, alors mĂȘme qu’il est prĂ©sent chez 95% des gens.
C’est effectivement un paradoxe. C’est un virus qui nous affecte tous ou presque, et qui peut provoquer des maladies infectieuses assez compliquĂ©es, notamment la mononuclĂ©ose infectieuse, et mĂȘme des cancers du systĂšme lymphatique, de lâestomac ou du nasopharynx. MalgrĂ©, tout il est relativement ignorĂ© du public.
C’est le plus ancien virus oncogĂšne connu (qui favorise la survenue d’un cancer, ndlr), mais c’est celui dont on sait le moins.
Dans quelle mesure le lien entre ce virus et le risque de cancer est-il avéré ?
On trouve des tumeurs associĂ©es Ă l’EBV essentiellement chez les patients immunodĂ©primĂ©s (VIH, transplantation). Dans ce cas le virus crĂ©e un risque de cancer trĂšs Ă©levĂ© car il code pour des protĂ©ines oncogĂšnes. Si le systĂšme immunitaire redevient compĂ©tent, les lymphocytes T agissent contre le virus et la tumeur rĂ©gresse.
C’est lĂ qu’intervient notre travail : on a dĂ©montrĂ© que le virus Ă©tait capable d’induire une modification du centrosome de la cellule qu’il infecte ! Or, on sait quâune modification du centrosome, un organite intracellulaire Ă©lĂ©ment clĂ© de la division cellulaire, entraine le dĂ©veloppement de tumeurs.
En quoi ce virus est-il si particulier ?
Nous avons dĂ©couvert que le virus d’Epstein-Barr n’a pas besoin d’injecter son ADN dans la cellule, mais quâil entre dans la cellule oĂč il libĂšre la protĂ©ine BNRF1 qui agit directement sur le centrosome. C’est important, car jusqu’Ă prĂ©sent, pour dĂ©montrer qu’un virus Ă©tait impliquĂ© dans l’apparition de tumeurs, il fallait dĂ©montrer la prĂ©sence de l’ADN du virus dans les cellules tumorales.
Quelles ont été les étapes expérimentales menant à cette découverte ? Sur quels modÚles biologiques avez-vous travaillé ?
Il est trĂšs facile de travailler avec ce virus in vitro. Il suffit de prendre du sang humain (d’une banque de sang ou d’un volontaire) pour constater une multiplication des cellules sanguines en sa prĂ©sence. Ceci dit, les conditions de dĂ©veloppement et de croissance des cellules sont extrĂȘmement diffĂ©rentes in vitro et in vivo. On utilise donc aussi un modĂšle animal, ici la souris.
A l’Ă©tat naturel, les souris sont rĂ©sistantes Ă l’infection par l’EBV. Il y a donc deux possibilitĂ©s pour expĂ©rimenter sur ce modĂšle :
- soit on utilise des souris humanisĂ©es, câest-Ă -dire auxquelles on a injectĂ© le systĂšme immunitaire humain par transplantation de moelle osseuse. Cette souris va pouvoir ĂȘtre infectĂ©e par le virus et rĂ©agir ;
- soit l’on utilise des souris immunodĂ©ficientes auxquelles on injecte des cellules humaines dĂ©jĂ infectĂ©es par le virus.
Le premier modĂšle est plus compliquĂ© Ă mettre en Ćuvre tandis que le second est plus primitif.
Avec ces modÚles in vitro et in vivo, on a démontré que la protéine BNRF1 du virus attaquait directement le centrosome.
Ensuite nous avons créé un virus dont on a retirĂ© cette protĂ©ine et qui in vitro n’entraĂźne plus de modification du centrosome. Nous Ă©tudions son effet chez la souris.
Quid du vaccin contre ce virus ? Qu’est-ce que vos travaux apportent Ă la stratĂ©gie vaccinale contre l’EBV ?
CrĂ©er un vaccin contre ce virus sera trĂšs difficile car il est trĂšs bien adaptĂ© au corps humain et sait se cacher du systĂšme immunitaire. Au vu de nos travaux, il va falloir modifier la stratĂ©gie vaccinale. Il faudra soit retirer BNRF1 du virus, soit faire en sorte que le virus ne soit pas capable d’atteindre le centrosome.
Propos recueillis par HélÚne Bour
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