L’École de chirurgie – Hôpital virtuel de Lorraine forme les prochaines générations de chirurgiens à toutes les spécialités chirurgicales. Afin de réduire l’utilisation d’animaux dans l’apprentissage des gestes de base des chirurgiens, elle a intégré de nombreuses alternatives à base de simulations numériques et organiques. Entretien avec son co-fondateur et co-directeur le Professeur Nguyen TRAN.
Pouvez-vous nous présenter l’École de chirurgie de Nancy et sa politique de recours aux animaux dans ses activités de formation ?
Nguyen TRAN : L’École de chirurgie a la particularité de former des étudiants à toutes les spécialités chirurgicales. Initialement, l’apprentissage des médecins internes se faisait sur des modèles cadavériques humains et des modèles animaux comme le cochon et le rat. Lorsque j’ai pris la co-direction de l’école en 2010, nous avons établi un plan 3R très fort qui a fait de nous des précurseurs dans la mise en place de substituts aux animaux sous forme de simulations numérique et organique qui permettent de réduire l’utilisation des précédents modèles. En ce sens, nous disposons du plus important plateau technique de France en termes de simulateurs, permettant ainsi l’acquisition des gestes chirurgicaux de base dans toutes les disciplines chirurgicales (cardiaque, thoracique, ORL, ophtalmologie, etc.).
En quoi consistent ces substituts et comment sont-ils utilisés dans la formation ?
N. T. : Nous avons capitalisé sur les avancées technologiques majeures de ces dernières années. Les simulateurs numériques servent, par exemple, à l’apprentissage de la laparoscopie qui permet d’observer l’intérieur de la cavité abdominale ou pelvienne et d’intervenir sur les organes. Ils servent aussi à l’apprentissage de l’arthroscopie qui intervient sur les articulations ou encore pour la chirurgie robotique. Bref, l’intérêt de ces simulateurs est de permettre à nos apprenants d’acquérir des gestes sans risque tout en nous permettant un suivi de leurs pratiques. Ils améliorent ainsi le paradigme de certification de nos professionnels de façon objective. Ce qui n’est pas possible avec les méthodes conventionnelles.
En parallèle, nous avons mis en place des simulateurs organiques. Il s’agit de moulages de corps dans lesquels sont disposés des organes provenant des abattoirs. Ces modèles complètent les simulations numériques en favorisant la chirurgie des tissus mous. Nous avons également recours à l’impression 3D. Elle est particulièrement adaptée pour la chirurgie touchant des tissus durs comme les os et le cartilage. L’ostéoradionécrose est, par exemple, une maladie rare qui entraîne la mort de l’os après un traitement par radiothérapie. Dans ce cadre, l’impression 3D nous permet d’entraîner les étudiants sur des réparations osseuses sur mesure, au plus proche de cas réels de patients.
Enfin, nous travaillons actuellement avec une start-up pour remplacer le petit animal dans l’apprentissage d’actes de microchirurgie (chirurgie de la main et chirurgie plastique). Nous développons des systèmes à base d’organes imprimés dans lesquels sont intégrés des petits vaisseaux d’un millimètre de diamètre mimant la circulation sanguine. Ces dispositifs devraient être disponibles d’ici la fin de l’année.
L’École de chirurgie – Hôpital virtuel de Lorraine a divisé par quatre le nombre d’animaux dans ses formations depuis 2010 tout en passant de 400 à 3 000 étudiants.
Comment l’adoption de l’ensemble de ces modèles a-t-elle impacté l’utilisation d’animaux dans la formation chirurgicale de votre établissement ?
N. T. : Avant 2010, pour former 3000 étudiants chaque année, nous utilisions une centaine de gros animaux, principalement le cochon. Aujourd’hui, grâce à ces nouvelles méthodes, nous en utilisons quatre fois moins.
En pratique, les internes commencent à travailler sur des simulateurs jusqu’à l’acquisition du bon geste. Toutefois, le métier chirurgical n’est pas juste technique. Il requiert aussi de maîtriser tous les événements pouvant survenir lors d’une opération : la variation des paramètres vitaux, l’environnement du bloc opératoire, la circulation sanguine, etc. L’animal reste, jusqu’à ce jour, le meilleur modèle pour apprendre la gestion émotionnelle associée à une chirurgie. C’est pourquoi nous avons entièrement remplacé l’animal dans les premières phases d’apprentissage, mais qu’il reste nécessaire avant la mise en pratique chez l’Homme. La chirurgie est une science médicale qui part de la souffrance de patients et la conscience du sacré de la vie qui est devant nous et cela on ne peut pas l’acquérir avec une simulation. Il faut confronter les internes à la réalité à un moment donné avec le recours au modèle animal.
Est-ce que de nouvelles innovations permettraient néanmoins de réduire davantage le nombre d’animaux utilisés au cours de la formation chirurgicale ?
N. T. : Les avancées techniques en simulation numérique vont entraîner un remplacement progressif des animaux. La combinaison de jeux sérieux et de jumeaux numériques – comme des doubles de blocs opératoires par exemple – va permettre d’appréhender cet environnement de travail en réalité augmentée. On va vers la création de blocs opératoires virtuels immersifs dans lesquels les apprenants peuvent appréhender l’espace, opérer un patient et où on peut simuler des défaillances et observer leur comportement. Ils permettent d’aller plus loin en travaillant en groupe et non plus seul, comme dans les simulateurs actuels.
Par ailleurs, le jumeau numérique nous permet de revenir en arrière, d’intervenir plusieurs fois sur un même patient virtuel, de juger la capacité d’apprentissage et de faciliter la certification. Son développement devrait donc complètement changer nos pratiques d’enseignement, mais une fois de plus, il ne remplacera jamais le degré émotionnel du réel.
Les médecins de l’École de chirurgie sont également impliqués dans des activités de recherche. Qu’en est-il de la place des animaux dans ces travaux ?
N. T. : Plusieurs résultats majeurs illustrent notre travail d’adoption et de promotion d’une stratégie 3R. Notamment, le professeur Juan Pablo Maureira – chef du service de chirurgie cardiaque – et moi-même, avons été les premiers en France à initier un programme pour la thérapie cellulaire cardiaque dans les années 2000. Cela consiste à prélever des cellules-souches d’un patient et à les injecter dans son myocarde malade après un infarctus.
En amont, il fallait réaliser une étude comparative ayant recours à plusieurs groupes de patients permettant d’évaluer la meilleure thérapie possible. Généralement, ces approches nécessitent un grand nombre d’animaux afin d’assurer que les résultats statistiques sont solides. Toutefois, nous avons adopté une approche qui a permis de sept animaux pour cette étude contre au moins une trentaine habituellement.
En fait, nous sommes partis du principe qu’améliorer le diagnostic initial de l’animal permettait de réduire drastiquement le nombre d’animaux de notre expérience. Cette dernière consistait à induire un infarctus à des rats, mais nous ne disposions pas d’information sur le degré de sévérité de l’infarctus. En collaboration avec des équipes d’imagerie, nous avons donc été les premiers au monde à mettre en place des diagnostics par imagerie sur le petit animal. Grâce à cela, nous savions exactement quel type d’infarctus présentait un animal et pouvions cibler un traitement adapté. Ces travaux ont apporté des avancées considérables en recherche thérapeutique sur un faible nombre d’animaux.
Plus, récemment, nous avons déposé un brevet sur un système d’assistance cardiaque sous forme d’exosquelette biocompatible, une alternative à la greffe et au cœur artificiel. Cela a été possible grâce à des modèles comme le rat et le cochon, mais avec une importante politique de raffinement. En travaillant sur l’efficacité du geste chirurgical, nous avons à nouveau fortement réduit le recours aux animaux.
Est-ce que l’adoption de méthodes alternatives appelle à repenser la façon dont est menée la recherche sur de nouvelles pratiques chirurgicale ?
N. T. : Il ne faut pas se voiler la face, la pression éthique fait que nous allons de plus en plus vers des modèles alternatifs. Cette vision nouvelle a des avantages et des inconvénients, mais nous devons l’adopter de gré ou de force. Par exemple, si on développe une nouvelle technique chirurgicale comme une suture. Cela peut être fait de manière intensive sur l’animal : on va réparer et observer sa cicatrisation.
Mais il est aussi possible de développer d’autres modèles issus de vrais tissus et d’étudier, dans un premier temps, la faisabilité des gestes techniques, la résection (consiste à enlever une partie d’organe ou de tissu), la reconstruction, etc. On peut combiner avec un modèle à base d’intelligence artificielle qui permettra d’anticiper d’éventuelles ruptures des sutures et fera des recommandations avant de passer sur un modèle vivant. Il y a donc de nombreuses alternatives qui nous permettent en chirurgie d’éviter l’usage de nombreux animaux. Il est important de s’en saisir pour faire entrer ces démarches dans les mœurs.
Comment cette réflexion éthique autour de l’utilisation des animaux s’articule dans vos travaux actuels ?
N. T. : Nous entrons dans une nouvelle révolution intellectuelle qui n’est plus centrée uniquement sur l’humain. Nous devons prendre en compte cette vision éthique, philosophique et sociétale tout en assurant la continuité d’avancées techniques et technologiques de pointe. En ce sens, je pense qu’il ne s’agit pas juste d’utiliser des animaux à des fins de bien-être humain. C’est pourquoi, je suis également porteur d’un projet pour un centre d’entraînement aux pratiques chirurgicales vétérinaires. Cette vision holistique des soins pour tous les êtres vivants me stimule beaucoup. J’apprécie l’idée d’avoir une vision dans laquelle les animaux ne sont pas qu’un outil, mais aussi les bénéficiaires des nombreuses avancées pensées jusque-là pour l’humain. Mes travaux visent à faire évoluer les pratiques dans ce sens.
Propos recueillis par Anaïs Culot pour le Gircor