Depuis plus de 30 ans, les organoĂŻdes â des reproductions in vitro et rĂ©duites de la structure et lâanatomie dâorganes – se dĂ©veloppent comme support expĂ©rimental au sein des laboratoires. Mais sont-ils Ă mĂȘme de remplacer lâutilisation dâanimaux Ă des fins scientifiques comme cela est souvent mentionnĂ© dans le dĂ©bat sur le sujet ? Afin de mieux apprĂ©hender les avantages et inconvĂ©nients des modĂšles animaux et organoĂŻdes, le Gircor sâest entretenu avec GĂ©rard Gradwohl, Directeur de recherche Ă lâInserm et spĂ©cialiste en biologie du dĂ©veloppement. Avec son Ă©quipe Ă lâInstitut de gĂ©nĂ©tique et de biologie molĂ©culaire et cellulaire (IGBMC – CNRS/Inserm/UniversitĂ© de Strasbourg), il utilise ces deux modĂšles afin de mieux comprendre le fonctionnement de nos cellules endocrines.
Quel est lâobjectif de vos recherches et quels modĂšles expĂ©rimentaux utilisez-vous Ă cet effet ?
GĂ©rard Gradwohl : Nous nous intĂ©ressons aux mĂ©canismes de diffĂ©renciation des cellules souches en cellules hautement spĂ©cialisĂ©es, c’est-Ă -dire la façon dont elles acquiĂšrent des propriĂ©tĂ©s bien dĂ©finies. Notre objectif est de comprendre plus particuliĂšrement comment sont gĂ©nĂ©rĂ©es les cellules endocrines au niveau du pancrĂ©as et de lâintestin telles que les cellules bĂȘta qui sĂ©crĂštent de lâinsuline en rĂ©ponse Ă notre prise de glucose. LâidĂ©e est dâidentifier de nouveaux gĂšnes impliquĂ©s dans le dĂ©veloppement et la spĂ©cialisation des cellules jusquâĂ ce quâelles soient matures et fonctionnelles dans notre corps.
Nos travaux de recherche fondamentale contribuent, par exemple, aux connaissances nĂ©cessaires au dĂ©veloppement de nouvelles thĂ©rapies pour le diabĂšte de type 1 basĂ©es sur la culture in vitro de cellules productrices dâinsuline Ă partir de cellules souches pluripotentes. Pour notre recherche, nous utilisons Ă la fois des modĂšles expĂ©rimentaux animaux avec la souris et des systĂšmes de culture dâorganoĂŻdes de pancrĂ©as et dâintestin. Ces derniers sont soit dĂ©rivĂ©s de la souris, soit gĂ©nĂ©rĂ©s par diffĂ©rentiation de cellules souches pluripotentes induites humaines.
Comment sâarticule lâutilisation de ces deux modĂšles dans vos recherches ?
GG : Nous combinons les deux. Par exemple, nous gĂ©nĂ©rons des mutations chez la souris pour Ă©tudier leurs consĂ©quences sur la physiologie intestinale. Puis nous dĂ©rivons des modĂšles organoĂŻdes dâintestins Ă partir de ces animaux sur lesquels il est plus facile de faire de lâimagerie en temps rĂ©el et dâĂ©tudier les processus de diffĂ©renciation.
Ă partir de cellules souches pluripotentes induites humaines, nous fabriquons Ă©galement des cellules bĂȘta in vitro. Ces cellules produites dans la boĂźte de PĂ©tri sont immatures. Et pour des raisons que nous ne connaissons pas encore, la transplantation chez lâanimal est nĂ©cessaire pour quâelles deviennent fonctionnelles et que la sĂ©crĂ©tion dâinsuline en rĂ©ponse au glucose soit efficace. Chaque modĂšle a don ses avantages et sert Ă des manipulations qui ne peuvent pas ĂȘtre mises en place chez lâautre ce qui en fait des modĂšles parfaitement complĂ©mentaires.
Pour quels types dâĂ©tudes le modĂšle animal est-il le plus adaptĂ© ?
GG : Il y a cette idĂ©e reçue que les animaux ne servent quâĂ tester des mĂ©dicaments en laboratoire. Or, bien avant de tester des thĂ©rapies, il faut comprendre le dĂ©veloppement et la physiologie des ĂȘtres vivants, c’est-Ă -dire la mise en place, les fonctions et les propriĂ©tĂ©s de leurs organes et de leurs tissus. Les recherches fondamentales sur les animaux permettent ainsi de gĂ©nĂ©rer des hypothĂšses quant aux voies de signalisation ou des molĂ©cules Ă cibler lors de futures thĂ©rapies. Câest Ă©galement grĂące aux connaissances acquises chez lâanimal, en particulier sur leur dĂ©veloppement embryonnaire et de la diffĂ©rentiation des tissus, que la technologie des organoĂŻdes sâest dĂ©veloppĂ©e.
Que permet de faire le modĂšle animal contrairement au modĂšle organoĂŻde ?
GG : Il est possible de gĂ©nĂ©rer des organoĂŻdes de nombreux organes, mais ces modĂšles sont trĂšs simplifiĂ©s. Par exemple, un organoĂŻde dâintestin est surtout composĂ© de cellules Ă©pithĂ©liales alors que cet organe contient Ă©galement des couches musculaires et un systĂšme nerveux. De plus, il communique avec dâautres organes comme le pancrĂ©as et lâestomac, ou encore le cerveau.
Donc pour Ă©tudier, par exemple, le mĂ©tabolisme du glucose, son absorption intestinale puis son assimilation par les tissus au sein dâun organisme vivant cela nĂ©cessite dâobserver un systĂšme intĂ©grĂ© dans lequel les organes communiquent entre eux. En ce sens, lâanimal est donc un modĂšle plus adaptĂ© Ă des Ă©tudes de physiologie. Un autre avantage, est de pouvoir Ă©tudier des aspects sexe-dĂ©pendants chez lâanimal qui sont plus difficiles Ă mettre en Ă©vidence sur des organoĂŻdes.
Inversement, quels avantages présentent les organoïdes ?
GG : Le fait quâils ne constituent pas un systĂšme intĂ©grĂ© peut parfois ĂȘtre un avantage. En proposant des modĂšles simplifiĂ©s, ils permettent de dissĂ©quer des mĂ©canismes de diffĂ©renciation cellulaire tout en sâaffranchissant dâinterfĂ©rences avec dâautres organes. Autre intĂ©rĂȘt : un mĂȘme organoĂŻde dâintestin peut ĂȘtre repiquĂ© de nombreuses fois jusquâĂ six mois ou un an. Ils sont ainsi trĂšs intĂ©ressants dans le cadre dâexpĂ©riences longitudinales qui suivent lâĂ©volution de populations de cellules sur de longues durĂ©es.
Par ailleurs, des organoĂŻdes dĂ©rivĂ©s de cellules pluripotentes souches humaines sont plus proches dâun tissu fĆtal quâadulte. Câest une caractĂ©ristique trĂšs intĂ©ressante pour mimer et Ă©tudier le dĂ©veloppement dâorganes humains, ce qui nâĂ©tait pas possible avant.
Les organoĂŻdes humains et ceux issus de souris ont-ils le mĂȘme impact sur la recherche ?
GG : Il faut bien dissocier les deux. Les organoĂŻdes dĂ©rivĂ©s de la souris permettent de rĂ©duire le nombre dâanimaux en Ă©tudiant certains processus biologiques en dehors de lâanimal vivant. Ils se placent donc en prolongement de lâanimal. Au cours des trois derniĂšres annĂ©es, leur usage nous a permis de rĂ©duire de 25 % le nombre de souris utilisĂ©es.
Les organoĂŻdes humains nous offrent, quant Ă eux, un nouveau modĂšle dâĂ©tude permettant dâĂ©tablir entre autre des modĂšles de pathologies humaines monogĂ©niques. En inactivant des gĂšnes dans les cellules souches pluripotentes induites humaines, il est possible de gĂ©nĂ©rer des « organes » mutants et dâĂ©tudier les consĂ©quences sur leur fonctionnement. Il est aussi possible, dans certains cas, de fabriquer des organoĂŻdes Ă partir de biopsies et donc de tumeurs chez des patients Ă des fins de mĂ©decine personnalisĂ©e. Ils servent ainsi Ă observer in vitro la rĂ©action dâune tumeur Ă des traitements.
Le modĂšle organoĂŻde est une technologie encore jeune et en cours de perfectionnement. Quelles sont ses limites actuelles en comparaison au modĂšle animal ?
GG : La culture de systĂšmes organoĂŻdes est longue, sophistiquĂ©e et couteuse. La diffĂ©renciation in vitro afin de rĂ©aliser un intestin prend entre un et deux mois. De plus, les facteurs de croissance utilisĂ©s pour gĂ©nĂ©rer un organoĂŻde et le maintenir en vie sont trĂšs chers. Il y a Ă©galement une forte demande pour le matrigel, un produit utilisĂ© dans la plupart des systĂšmes de culture dâorganoĂŻdes, qui cause parfois des pĂ©nuries mondiales et peut mettre nos expĂ©riences Ă lâarrĂȘt.
Un autre dĂ©savantage des organoĂŻdes est, Ă mon avis, la reproductibilitĂ© des rĂ©sultats entre laboratoires. Les niveaux dâexpertise et les protocoles pour produire et maintenir les organoĂŻdes en vie nĂ©cessitent dâĂȘtre standardisĂ©s. Toutefois, tous les organoĂŻdes ne rĂ©pondent pas aux mĂȘmes rĂšgles. Par exemple, les expĂ©riences se reproduisent plus facilement dans lâintestin que dans le pancrĂ©as, car les protocoles sont mieux maĂźtrisĂ©s. Demeurent nĂ©anmoins dâimportantes variations expĂ©rimentales qui sont bien moins prononcĂ©es chez la souris.
Quelles promesses offre alors la combinaison des deux modĂšles : animal et organoĂŻde ?
GG : La greffe chez lâanimal reste un processus nĂ©cessaire aujourdâhui pour Ă©tudier certains organoĂŻdes et leurs fonctionnalitĂ©s, car on ne sait pas encore produire in vitro des organes identiques aux organes adultes. NĂ©anmoins, ces derniers sont de plus en plus sophistiquĂ©s. Ă titre dâexemple, il est possible de produire des organoĂŻdes intestinaux innervĂ©s. Se dĂ©veloppent aussi des mĂ©thodes dâorgane sur puce qui visent Ă reproduire les interconnexions physiologiques entre les organes et Ă mesurer leurs Ă©changes en connectant diffĂ©rents organoĂŻdes. Cependant, la biologie dâun ĂȘtre vivant ne se rĂ©sume pas simplement Ă la somme de versions simplifiĂ©es de ses organes. Câest pourquoi, les expĂ©rimentations ont encore besoin de combiner ces deux modĂšles. Si les organoĂŻdes permettent donc de rĂ©duire le nombre dâanimaux, ils ne sont pas assez complexes aujourdâhui pour les remplacer.
Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor
Crédits photo : Gérard Gradwohl, IGBMC, Illkirch, France