đŸŽ™ïž Animaux et organoĂŻdes : des modĂšles plus complĂ©mentaires qu’opposĂ©s

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GĂ©rard Gradwohl

Depuis plus de 30 ans, les organoĂŻdes – des reproductions in vitro et rĂ©duites de la structure et l’anatomie d’organes – se dĂ©veloppent comme support expĂ©rimental au sein des laboratoires. Mais sont-ils Ă  mĂȘme de remplacer l’utilisation d’animaux Ă  des fins scientifiques comme cela est souvent mentionnĂ© dans le dĂ©bat sur le sujet ? Afin de mieux apprĂ©hender les avantages et inconvĂ©nients des modĂšles animaux et organoĂŻdes, le Gircor s’est entretenu avec GĂ©rard Gradwohl, Directeur de recherche Ă  l’Inserm et spĂ©cialiste en biologie du dĂ©veloppement. Avec son Ă©quipe Ă  l’Institut de gĂ©nĂ©tique et de biologie molĂ©culaire et cellulaire (IGBMC – CNRS/Inserm/UniversitĂ© de Strasbourg), il utilise ces deux modĂšles afin de mieux comprendre le fonctionnement de nos cellules endocrines.

Quel est l’objectif de vos recherches et quels modĂšles expĂ©rimentaux utilisez-vous Ă  cet effet ?

GĂ©rard Gradwohl : Nous nous intĂ©ressons aux mĂ©canismes de diffĂ©renciation des cellules souches en cellules hautement spĂ©cialisĂ©es, c’est-Ă -dire la façon dont elles acquiĂšrent des propriĂ©tĂ©s bien dĂ©finies. Notre objectif est de comprendre plus particuliĂšrement comment sont gĂ©nĂ©rĂ©es les cellules endocrines au niveau du pancrĂ©as et de l’intestin telles que les cellules bĂȘta qui sĂ©crĂštent de l’insuline en rĂ©ponse Ă  notre prise de glucose. L’idĂ©e est d’identifier de nouveaux gĂšnes impliquĂ©s dans le dĂ©veloppement et la spĂ©cialisation des cellules jusqu’à ce qu’elles soient matures et fonctionnelles dans notre corps.

Nos travaux de recherche fondamentale contribuent, par exemple, aux connaissances nĂ©cessaires au dĂ©veloppement de nouvelles thĂ©rapies pour le diabĂšte de type 1 basĂ©es sur la culture in vitro de cellules productrices d’insuline Ă  partir de cellules souches pluripotentes. Pour notre recherche, nous utilisons Ă  la fois des modĂšles expĂ©rimentaux animaux avec la souris et des systĂšmes de culture d’organoĂŻdes de pancrĂ©as et d’intestin. Ces derniers sont soit  dĂ©rivĂ©s de la souris, soit gĂ©nĂ©rĂ©s par diffĂ©rentiation de cellules souches pluripotentes induites humaines.

Comment s’articule l’utilisation de ces deux modùles dans vos recherches ?

GG : Nous combinons les deux. Par exemple, nous gĂ©nĂ©rons des mutations chez la souris pour Ă©tudier leurs consĂ©quences sur la physiologie intestinale. Puis nous dĂ©rivons des modĂšles organoĂŻdes d’intestins Ă  partir de ces animaux sur lesquels il est plus facile de faire de l’imagerie en temps rĂ©el et d’étudier les processus de diffĂ©renciation.
À partir de cellules souches pluripotentes induites humaines, nous fabriquons Ă©galement des cellules bĂȘta in vitro. Ces cellules produites dans la boĂźte de PĂ©tri sont immatures. Et pour des raisons que nous ne connaissons pas encore, la transplantation chez l’animal est nĂ©cessaire pour qu’elles deviennent fonctionnelles et que la sĂ©crĂ©tion d’insuline en rĂ©ponse au glucose soit efficace. Chaque modĂšle a don ses avantages et sert Ă  des manipulations qui ne peuvent pas ĂȘtre mises en place chez l’autre ce qui en fait des modĂšles parfaitement complĂ©mentaires.

Pour quels types d’études le modĂšle animal est-il le plus adaptĂ© ?

Organoide d’intestin

GG : Il y a cette idĂ©e reçue que les animaux ne servent qu’à tester des mĂ©dicaments en laboratoire. Or, bien avant de tester des thĂ©rapies, il faut comprendre le dĂ©veloppement et la physiologie des ĂȘtres vivants, c’est-Ă -dire la mise en place, les fonctions et les propriĂ©tĂ©s de leurs organes et de leurs tissus. Les recherches fondamentales sur les animaux permettent ainsi de gĂ©nĂ©rer des hypothĂšses quant aux voies de signalisation ou des molĂ©cules Ă  cibler lors de futures thĂ©rapies. C’est Ă©galement grĂące aux connaissances acquises chez l’animal, en particulier sur leur dĂ©veloppement embryonnaire et de la diffĂ©rentiation des tissus, que la technologie des organoĂŻdes s’est dĂ©veloppĂ©e.

Que permet de faire le modĂšle animal contrairement au modĂšle organoĂŻde ?

GG : Il est possible de gĂ©nĂ©rer des organoĂŻdes de nombreux organes, mais ces modĂšles sont trĂšs simplifiĂ©s. Par exemple, un organoĂŻde d’intestin est surtout composĂ© de cellules Ă©pithĂ©liales alors que cet organe contient Ă©galement des couches musculaires et un systĂšme nerveux. De plus, il communique avec d’autres organes comme le pancrĂ©as et l’estomac, ou encore le cerveau. 
Donc pour Ă©tudier, par exemple, le mĂ©tabolisme du glucose, son absorption intestinale puis son assimilation par les tissus au sein d’un organisme vivant cela nĂ©cessite d’observer un systĂšme intĂ©grĂ© dans lequel les organes communiquent entre eux. En ce sens, l’animal est donc un modĂšle plus adaptĂ© Ă  des Ă©tudes de physiologie. Un autre avantage, est de pouvoir Ă©tudier des aspects sexe-dĂ©pendants chez l’animal qui sont plus difficiles Ă  mettre en Ă©vidence sur des organoĂŻdes.

Inversement, quels avantages présentent les organoïdes ?

GG : Le fait qu’ils ne constituent pas un systĂšme intĂ©grĂ© peut parfois ĂȘtre un avantage. En proposant des modĂšles simplifiĂ©s, ils permettent de dissĂ©quer des mĂ©canismes de diffĂ©renciation cellulaire tout en s’affranchissant d’interfĂ©rences avec d’autres organes. Autre intĂ©rĂȘt : un mĂȘme organoĂŻde d’intestin peut ĂȘtre repiquĂ© de nombreuses fois jusqu’à six mois ou un an. Ils sont ainsi trĂšs intĂ©ressants dans le cadre d’expĂ©riences longitudinales qui suivent l’évolution de populations de cellules sur de longues durĂ©es.
Par ailleurs, des organoĂŻdes dĂ©rivĂ©s de cellules pluripotentes souches humaines sont plus proches d’un tissu fƓtal qu’adulte. C’est une caractĂ©ristique trĂšs intĂ©ressante pour mimer et Ă©tudier le dĂ©veloppement d’organes humains, ce qui n’était pas possible avant.

Les organoĂŻdes humains et ceux issus de souris ont-ils le mĂȘme impact sur la recherche ?

GG : Il faut bien dissocier les deux. Les organoĂŻdes dĂ©rivĂ©s de la souris permettent de rĂ©duire le nombre d’animaux en Ă©tudiant certains processus biologiques en dehors de l’animal vivant. Ils se placent donc en prolongement de l’animal. Au cours des trois derniĂšres annĂ©es, leur usage nous a permis de rĂ©duire de 25 % le nombre de souris utilisĂ©es. 
Les organoĂŻdes humains nous offrent, quant Ă  eux, un nouveau modĂšle d’étude permettant d’établir entre autre des modĂšles de pathologies humaines monogĂ©niques. En inactivant des gĂšnes dans les cellules souches pluripotentes induites humaines, il est possible de gĂ©nĂ©rer des « organes » mutants et d’étudier les consĂ©quences sur leur fonctionnement. Il est aussi possible, dans certains cas, de fabriquer des organoĂŻdes Ă  partir de biopsies et donc de tumeurs chez des patients Ă  des fins de mĂ©decine personnalisĂ©e. Ils servent ainsi Ă  observer in vitro la rĂ©action d’une tumeur Ă  des traitements.

Le modĂšle organoĂŻde est une technologie encore jeune et en cours de perfectionnement. Quelles sont ses limites actuelles en comparaison au modĂšle animal ?

GG : La culture de systĂšmes organoĂŻdes est longue, sophistiquĂ©e et couteuse. La diffĂ©renciation in vitro afin de rĂ©aliser un intestin prend entre un et deux mois. De plus, les facteurs de croissance utilisĂ©s pour gĂ©nĂ©rer un organoĂŻde et le maintenir en vie sont trĂšs chers. Il y a Ă©galement une forte demande pour le matrigel, un produit utilisĂ© dans la plupart des systĂšmes de culture d’organoĂŻdes, qui cause parfois des pĂ©nuries mondiales et peut mettre nos expĂ©riences Ă  l’arrĂȘt.
Un autre dĂ©savantage des organoĂŻdes est, Ă  mon avis, la reproductibilitĂ© des rĂ©sultats entre laboratoires. Les niveaux d’expertise et les protocoles pour produire et maintenir les organoĂŻdes en vie nĂ©cessitent d’ĂȘtre standardisĂ©s. Toutefois, tous les organoĂŻdes ne rĂ©pondent pas aux mĂȘmes rĂšgles. Par exemple, les expĂ©riences se reproduisent plus facilement dans l’intestin que dans le pancrĂ©as, car les protocoles sont mieux maĂźtrisĂ©s. Demeurent nĂ©anmoins d’importantes variations expĂ©rimentales qui sont bien moins prononcĂ©es chez la souris.

Quelles promesses offre alors la combinaison des deux modĂšles : animal et organoĂŻde ?

GG : La greffe chez l’animal reste un processus nĂ©cessaire aujourd’hui pour Ă©tudier certains organoĂŻdes et leurs fonctionnalitĂ©s, car on ne sait pas encore produire in vitro des organes identiques aux organes adultes. NĂ©anmoins, ces derniers sont de plus en plus sophistiquĂ©s. À titre d’exemple, il est possible de produire des organoĂŻdes intestinaux innervĂ©s. Se dĂ©veloppent aussi des mĂ©thodes d’organe sur puce qui visent Ă  reproduire les interconnexions physiologiques entre les organes et Ă  mesurer leurs Ă©changes en connectant diffĂ©rents organoĂŻdes. Cependant, la biologie d’un ĂȘtre vivant ne se rĂ©sume pas simplement Ă  la somme de versions simplifiĂ©es de ses organes. C’est pourquoi, les expĂ©rimentations ont encore besoin de combiner ces deux modĂšles. Si les organoĂŻdes permettent donc de rĂ©duire le nombre d’animaux, ils ne sont pas assez complexes aujourd’hui pour les remplacer.

Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor

CrĂ©dits photo : GĂ©rard Gradwohl, IGBMC, Illkirch, France

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