Pourquoi l’étude des cancers chez le chien bénéficie à la médecine humaine

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Devant la difficulté d’étudier le développement de certaines maladies humaines, la recherche se tourne parfois vers des animaux dits modèles – allant du poisson-zèbre au primate non humain. Ce qui pose nombre de questions, éthiques mais aussi médicales : les rats ou souris de laboratoire sont-ils de bons modèles ? Un nouveau médicament efficace chez les rongeurs ne le sera pas nécessairement chez notre espèce… en tout cas pas aux mêmes doses et pas sous la même forme.

D’où l’intérêt de s’intéresser à des modèles plus grands, littéralement, tel que le chien.

Le chien partage avec l’Homme son environnement, mais aussi des caractéristiques génétiques. Le génome canin, c’est-à-dire l’ensemble de ses gènes, est entièrement connu depuis en 2005. L’analyse, effectuée chez une chienne de race Boxer, y a identifié un peu moins de 20 000 gènes sur les 78 chromosomes répartis en 38 paires de chromosomes autosomiques (non sexuels) et une paire de chromosomes sexuels (X et Y). L’espèce humaine en compterait, elle, 23 000 pour 23 paires de chromosomes.

Pourquoi s’intéresser au génome du chien ? La faute à l’Homme… En effet, en sélectionnant plus de 350 races de chiens pour la chasse, le gardiennage de troupeaux, la défense, le secourisme, l’assistance aux personnes ou tout simplement comme animal de compagnie, nous avons aussi sélectionné des gènes responsables de maladies. Aussi un grand nombre de races de chiens présentent une susceptibilité accrue à des maladies génétiques complexes comme les cancers. 

Et comme pour nous, les altérations de son génome peuvent avoir des conséquences sur sa santé. Or, sur les 500 maladies génétiques qui peuvent l’affecter, la moitié sont analogues à celles qui nous touchent. Le chien peut ainsi en théorie être un bon modèle… Au point de jouer un rôle majeur dans l’identification de nouveaux gènes ou le développement de traitements innovants ? C’est ce que nous allons développer ici.

Quels cancers chez le chien ?

Animal de compagnie apprécié (même si le chat l’a récemment détrôné), le chien fait l’objet d’un suivi médical avancé. Les données recueillies montrent qu’il développe spontanément des maladies analogues à celles qui nous frappent : maladies cardio-vasculaires, auto-immunes, neurologiques, etc. Ce qui est un atout par rapport aux souris par exemple, où elles sont souvent induites artificiellement et ne reflètent que très partiellement les maladies humaines.

Le cancer fait partie de ces maux qui affectent nos compagnons. De 25 % à 30 % des chiens domestiques développent en effet une tumeur maligne. Les plus fréquents sont les cancers de la peau tels que le mastocytome ou le mélanome, les cancers de la glande mammaire chez la femelle et les lymphomes, cancers des nœuds lymphatiques – qui sont également décrits au sein de notre espèce.

Certains cancers sont plus fréquents chez des races données : cancer de la glande mammaire chez le doberman ou tumeur du cerveau chez les races brachycéphales (chien à nez court : boxer, bouledogue, carlin, etc.).

Au microscope, les cellules malignes des tumeurs canines et humaines se ressemblent beaucoup. Les similitudes existent aussi sur le plan génétique : les mêmes chromosomes ou les mêmes gènes peuvent être endommagés. Récemment, l’analyse comparée du génome d’un mélanome rare et mal caractérisé chez l’Homme (mélanome muqueux) et du mélanome buccal chez le chien, beaucoup plus fréquent, a permis la découverte d’anomalies génétiques similaires entre les deux espèces. Cette découverte pourrait permettre d’identifier de nouveaux traitements pour l’un comme pour l’autre.

Ce qui est cancérigène pour nous l’est aussi pour notre compagnon

Un autre avantage du chien en termes de santé est qu’il partage notre environnement : les mêmes lieux de vie, les expositions aux mêmes agents chimiques, les mêmes stress et, jusqu’à il y a peu, la même alimentation.

Les chiens de fumeurs en sont malheureusement un bel exemple. Fumer une cigarette expose son animal à 4 000 substances chimiques, dont une cinquantaine sont cancérigènes. Ils peuvent s’intoxiquer directement par inhalation de la fumée de cigarette ou bien via le dépôt sur leur pelage de substances nocives dérivées du tabac et secondairement ingérées.

La suite est affaire de museau. Les races à museau long (colley, berger des Shetland, etc.) développeront un cancer du nez ou des sinus car les particules cancérigènes resteront piégées dans leur nez. Les races à museau court ou aplati (bouledogue, Pékinois, Carlin…), dépourvues de filtre nasal, verront les particules cancérigènes s’accumuler dans leurs poumons, pouvant provoquer un cancer pulmonaire.

L’exposition aux toxiques environnementaux est évaluable chez le chien grâce à des colliers spéciaux qui captent les particules nocives, qui peuvent être secondairement étudiées. Là encore, les analyses chez le chien peuvent contribuer à une meilleure compréhension des cancers humains.

Les particularités du génome canin

L’intérêt pour les cancers canins a fait un bond après le séquençage du génome du chien il y a une quinzaine d’années.

Sa « lecture » complète a montré une étonnante homogénéité, qui découle de la forte consanguinité au sein des races. D’une génération à l’autre, il n’y a donc que très peu de brassage des gènes, du fait des croisements prévus pour respecter les critères de chaque race. À l’opposé, les vagues migratoires et les différents flux de populations humaines ont facilité d’importants brassages et ont abouti à une population hétérogène au niveau mondial, composée d’individus très différents.

En faisant se reproduire ensemble les animaux d’une même race pour fixer des caractéristiques physiques, les éleveurs ont ainsi imposé une épuration de nombreux gènes. Mais couleur des poils ou taille n’ont pas été les seuls traits sélectionnés : la prédisposition à certaines maladies génétiques, dont les cancers, l’a également été.

Pratiquement toutes les races de chiens sont touchées par des maladies génétiques. Ces maladies ont souvent une fréquence supérieure à celle observée chez nous, et peuvent toucher jusqu’à 10 % des animaux au sein de certaines races. Le chien représente ainsi un modèle unique pour l’étude de maladies spontanées d’origine génétique.

Mais ce n’est pas tout. L’homogénéité de son génome permet également d’identifier plus facilement les gènes en cause.

Étudier une maladie monogénique (due à un seul gène anormal) nécessite 20 chiens malades et 20 chiens contrôles (sains). Pour une maladie complexe, multifactorielle, telle que le cancer, quelques centaines d’animaux sont nécessaires – chez l’Homme, plusieurs milliers de patients et de sujets contrôles sont requis.

Un bénéfice pour tous

Ces chiffres soulignent tout l’intérêt du chien pour décrypter les bases génétiques de maladies rares et/ou complexes chez nous.

Ce concept de « chien-patient » bénéficie d’abord au chien par le développement de tests génétiques, voire de thérapies efficaces, et à l’Homme par la mise en place d’essais précliniques étudiant l’efficacité des traitements proposés… chez le chien.

Par ailleurs, l’espérance de vie de nos compagnons étant plus courte, les cancers se développent et donnent des métastases plus tôt chez eux : ce qui permet d’apprécier rapidement l’efficacité d’un nouveau médicament. L’adaptation ultérieure des doses à notre espèce est par ailleurs facilitée par leur taille plus grande que celle des rongeurs.

Cette approche repose sur une étroite collaboration entre chercheurs, vétérinaires, médecins et généticiens. Les données acquises lors des différentes études croisées peuvent ensuite être appliquées aux maladies humaines homologues, avec un intérêt direct pour les deux espèces.

Selon le concept « OneHealth » (une seule santé), garantir la santé de l’Homme implique de protéger celles de l’animal et des écosystèmes. Dans ce contexte d’interdépendance, nos animaux de compagnie offrent un miroir de notre santé globale. Le chien est le meilleur ami de l’Homme à plus d’un titre.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Auteurs : Audrey Rousseau, Professeur en Anatomie Pathologique – Médecin enseignant-chercheur au CHU d’Angers, Université d’Angers, et Marie-Anne Colle, Professeur en Anatomie pathologique Vétérinaire, directrice de l’UMR PAnTher (UMR 703 INRAE/Oniris), Inrae


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