đŸŽ™ïž Du rĂŽle essentiel des modĂšles animaux dans le succĂšs d’une interface cerveau-machine implantĂ©e chez l’humain

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En 2023, un patient paraplĂ©gique marchait en contrĂŽlant ses mouvements par la pensĂ©e. Quatre ans plus tĂŽt, une personne tĂ©traplĂ©gique parvenait Ă  se mouvoir Ă  l’aide d’un exosquelette. Au cƓur de ces deux avancĂ©es majeures : une interface cerveau-machine baptisĂ©e WIMAGINE dĂ©veloppĂ©e par les chercheurs et ingĂ©nieurs de la plateforme Clinatec du CEA-Leti Ă  Grenoble. Guillaume Charvet, en charge du programme Interface Cerveau-Machine, et David Ratel, en charge des Ă©tudes biologiques autour de l’implant, retracent l’historique de ce dispositif, des premiĂšres idĂ©es aux essais cliniques actuels.

À retenir

Comment fonctionne l’implant WIMAGINE et quelles sont les origines de son dĂ©veloppement ?

Guillaume Charvet : L’implant WIMAGINE capte, transmet de maniĂšre sans fil l’activitĂ© Ă©lectrique cĂ©rĂ©brale mesurĂ©e au niveau du cortex moteur afin de les dĂ©coder en temps rĂ©el et d’en extraire les intentions de mouvement du patient. Il est placĂ© sous la boĂźte crĂąnienne au contact de la dure mĂšre, une membrane fibreuse qui entoure notre cerveau. Ce dispositif est au cƓur d’essais cliniques chez l’humain depuis 2017 et est notamment impliquĂ© dans des rĂ©sultats ayant permis Ă  une personne tĂ©traplĂ©gique de contrĂŽler un exosquelette et une personne paraplĂ©gique de marcher.

L’idĂ©e de dĂ©velopper cette interface cerveau-machine remonte Ă  2008 lors de la crĂ©ation du centre de recherche biomĂ©dicale Clinatec du CEA. À l’époque, il y avait peu de rĂ©sultats dans la littĂ©rature scientifique internationale sur des systĂšmes mesurant efficacement l’activitĂ© du cortex. Des chercheurs de l’UniversitĂ© de Brown aux États-Unis avaient mis au point une matrice d’électrodes implantĂ©e dans les premiĂšres couches du cortex qui Ă©tait trĂšs invasives pour le cerveau et prĂ©sentait des limites. Nous voulions donc montrer qu’en plaçant simplement des Ă©lectrodes Ă  la surface du cortex, et non plus Ă  l’intĂ©rieur, il Ă©tait possible d’obtenir les mĂȘmes capacitĂ©s de contrĂŽle sur des bras robotisĂ©s ou des exosquelettes, par exemple.

DĂšs lors, nous avons menĂ© de front diffĂ©rents dĂ©veloppements afin de rĂ©pondre Ă  trois questions essentielles : quel type de signal capter ? Comment le dĂ©coder ? Et quel assemblage mettre en Ɠuvre afin d’assurer une technologie biocompatible qui sera acceptĂ©e par le corps ? Des essais prĂ©cliniques sur des rongeurs, puis sur des primates non humains et des brebis ont permis de rĂ©pondre Ă  ces enjeux et de dĂ©risquer la future implantation chez l’humain.

L’idĂ©e de dĂ©velopper cette interface cerveau-machine remonte Ă  2008.

Comment avez-vous menĂ© les recherches sur l’aspect biocompatible des futurs implants ?

David Ratel : Avant toute implantation chez l’animal, nous devions concevoir un dispositif prĂ©clinique qui soit le mieux tolĂ©rĂ© possible par le tissu cĂ©rĂ©bral. L’objectif Ă©tant de prĂ©server l’animal et d’éviter les rĂ©actions tissulaires susceptibles de bloquer l’enregistrement des donnĂ©es. La particularitĂ© de notre technologie est qu’elle est destinĂ©e Ă  une implantation Ă  vie. Ce caractĂšre chronique est dĂ©terminant, car certains matĂ©riaux biocompatibles ne sont pas qualifiĂ©s pour une aussi longue temporalitĂ©.

Par ailleurs, il s’agissait de s’assurer que l’assemblage des matĂ©riaux au sein du dispositif n’aboutissait pas Ă  la libĂ©ration de rĂ©sidus potentiellement toxiques. En ce sens, nous avons eu recours Ă  des modĂšles cellulaires pour rĂ©duire le nombre d’animaux utilisĂ©s. De lĂ , nous avons pu valider le caractĂšre implantable de notre dispositif prĂ©clinique. Sans quoi, les matĂ©riaux auraient Ă©tĂ© modifiĂ©s et Ă©tudiĂ©s Ă  nouveau.

L'implant Wimagine

Des premiers travaux prĂ©cliniques ont d’abord Ă©tĂ© menĂ©s chez le rat. Quels Ă©taient leurs objectifs ?

D. R. : Dans la continuitĂ© des essais sur la biocompatibilitĂ©, l’étude chez le rat a validĂ© la tolĂ©rance de notre dispositif au niveau du cerveau. Cela a permis de prĂ©venir des risques tels que des phĂ©nomĂšnes neuroinflammatoires – c’est-Ă -dire une rĂ©ponse immunitaire qui protĂšge notre cerveau contre des agressions ; mais aussi le risque de pertes de neurones ou encore une rupture de la barriĂšre hĂ©mato-encĂ©phalique qui sert Ă  rĂ©guler le milieu tissulaire cĂ©rĂ©bral.

De plus, l’objectif principal des essais sur le rat Ă©tait de recueillir des signaux biologiques Ă©lectriques du cortex dans le but de dĂ©velopper des algorithmes de dĂ©tection d’intention de mouvement. Au cours des expĂ©riences, l’animal devait appuyer sur une pĂ©dale en vue d’obtenir une rĂ©compense. Cela nous a permis d’extraire une signature du cortex cĂ©rĂ©bral du rat impliquĂ©e dans ce mouvement. Mais aussi de dĂ©velopper les bons algorithmes de traitement des donnĂ©es captĂ©es.

L'objectif principal des essais sur le rat était de développer
des algorithmes de dĂ©tection d’intention de mouvement.

Vous avez ensuite menĂ© une deuxiĂšme sĂ©rie d’essais chez le macaque. Comment cette phase a contribuĂ© Ă  l’avancement de l’implant vers sa qualification ?

D. R. : Aller chez le primate a eu plusieurs intĂ©rĂȘts. Nous avons dĂ©veloppĂ© un implant Ă  l’échelle un demi qui nous a permis de couvrir l’intĂ©gralitĂ© du cortex moteur et de cartographier les zones oĂč le signal Ă©tait le plus informatif. Cette Ă©tape n’était pas possible chez le rat qui a un cortex de quelques centaines de micromĂštres carrĂ©s de surface. Le dispositif utilisĂ© chez le primate Ă©tait donc reprĂ©sentatif du dispositif clinique qui a Ă©tĂ© implantĂ© chez l’humain. Il intĂ©grait l’ensemble des matĂ©riaux en contact avec la dure-mĂšre dans le but d’évaluer la biocompatibilitĂ© in vivo et la tolĂ©rance locale.

Ces Ă©tudes ont aussi aidĂ© Ă  choisir le site d’implantation chez l’Homme. Nous avons optĂ© pour une localisation extra-durale, c’est-Ă -dire entre la dure-mĂšre et la boĂźte crĂąnienne, qui permettait d’obtenir des signaux de bonne qualitĂ© et de rĂ©duire le risque infectieux. Enfin, les essais chez le macaque ont servi Ă  tester la robustesse des algorithmes de dĂ©tection de signatures d’intention de mouvement avec des protocoles plus proches du dispositif humain.

Le dispositif utilisé chez le primate est
reprĂ©sentatif de celui implantĂ© chez l’humain.

Quelles Ă©tapes ont suivi jusqu’à la publication des premiers rĂ©sultats chez l’humain en 2019 ?

G. C. : Le dispositif final, identique Ă  celui destinĂ© Ă  l’humain, a Ă©tĂ© implantĂ© en dernier lieu chez la brebis. Cela a permis de valider le fonctionnement du systĂšme global et son utilisation sur plusieurs mois. L’ensemble des essais sur les animaux et les modĂšles in vitro nous ont permis d’obtenir les autorisations Ă  la fin de l’annĂ©e 2016 de la part des autoritĂ©s rĂ©glementaires pour des essais chez l’Homme. Un premier patient tĂ©traplĂ©gique a Ă©tĂ© implantĂ© le 21 juin 2017, avec des premiers rĂ©sultats publiĂ©s en 2019 dans la revue Lancet Neurology (Benabid et al., 2019).

GrĂące au dispositif WIMAGINE et aux algorithmes associĂ©s, le patient a Ă©tĂ© capable de contrĂŽler les quatre membres d’un exosquelette dĂ©veloppĂ© par les Ă©quipes du CEA. C’était une premiĂšre mondiale ! Il a fallu deux annĂ©es pour entraĂźner le patient sur l’exosquelette et adapter les algorithmes aux nouvelles donnĂ©es. L’exosquelette n’avait, cependant, pas vocation Ă  ĂȘtre utilisĂ© Ă  domicile. Il visait seulement Ă  valider le concept clinique.

©Juliette Treillet

Toujours en 2019, vous démarrez une collaboration avec une équipe suisse qui aboutit à un nouveau résultat majeur en 2023. Racontez-nous.

G. C. : En parallĂšle de nos travaux, une Ă©quipe suisse de l’École polytechnique fĂ©dĂ©rale de Lausanne (EPFL) et du Centre hospitalier universitaire de Lausanne (CHUV) Ă©tait parvenue Ă  une dĂ©monstration clinique d’un dispositif capable de stimuler une rĂ©gion spĂ©cifique de la moelle Ă©piniĂšre pour gĂ©nĂ©rer des mouvements de pas. Mais la stimulation Ă©tait contrĂŽlĂ©e de maniĂšre externe. L’idĂ©e est donc venue de combiner nos technologies afin de crĂ©er un pont digital entre le cerveau et la moelle Ă©piniĂšre. Ces travaux ont commencĂ© en 2019 avec l’obtention d’autorisations pour la mise en place d’un nouvel essai clinique et une implantation en 2021. Les rĂ©sultats prĂ©sentĂ©s en mai 2023 dans la revue Nature (Lorach et al., 2023) sont un jalon important du domaine des interfaces cerveau-machine, car le patient a pu utiliser cette technologie pour marcher quelques heures par jour en contrĂŽlant ses mouvements par la pensĂ©e.

Ce rĂ©sultat arrive 15 ans aprĂšs les premiers dĂ©veloppements, l’aventure est-elle pour autant terminĂ©e ?

G. C. : Loin de lĂ  ! Cela peut paraĂźtre long, mais il faut garder en tĂȘte qu’on est parti d’une idĂ©e et non de rĂ©sultats prĂ©existants. Tout Ă©tait donc Ă  faire, des circuits intĂ©grĂ©s, Ă  l’élaboration des dispositifs et leur validation prĂ©clinique, jusqu’à l’entraĂźnement des patients, etc. Les essais cliniques chez l’humain durent depuis 6 ans, mais ils n’ont Ă©tĂ© menĂ©s Ă  chaque fois qu’avec un seul patient. La prochaine Ă©tape sera donc de reproduire les rĂ©sultats obtenus avec d’autres patients.

Nous allons Ă©galement Ă©tendre les indications cliniques de cette technologie. En ce sens, un nouvel essai clinique vient de dĂ©marrer afin de permettre Ă  des patients tĂ©traplĂ©giques de contrĂŽler le mouvement de leurs bras avec une interface cerveau-moelle Ă©piniĂšre au niveau des vertĂšbres cervicales. Enfin, il faut encore rĂ©duire la taille de la technologie. Le dĂ©codage des algorithmes se fait actuellement sur un ordinateur. L’objectif serait de passer Ă  un simple systĂšme qui s’accrocherait Ă  la ceinture, voire qui tiendrait sur une puce Ă©lectronique afin de permettre l’usage de cette technologie dans le cadre de la vie quotidienne.

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Est-ce que d’autres approches et notamment d’autres modĂšles que les animaux permettraient d’atteindre ces rĂ©sultats aujourd’hui ?

D. R. : L’expĂ©rimentation chez le rat Ă©tait nĂ©cessaire pour avoir l’information pertinente de fonctionnement des algorithmes qui est la pierre angulaire de l’implant. Elle le serait tout autant aujourd’hui. De mĂȘme, notre dispositif n’aurait jamais pu entrer dans une phase d’essai clinique chez l’humain sans les essais sur les macaques et l’implantation chez la brebis. Nous revendiquons donc entiĂšrement cette dĂ©marche qui combine des modĂšles in vitro et in vivo et surtout qui suit un ordre d’étape bien dĂ©fini, tout en suivant la rĂšgle des 3R.

Avec le recul, si nous devions rĂ©aliser la mĂȘme Ă©tude aujourd’hui, on suivrait les mĂȘmes Ă©tapes, sur les mĂȘmes modĂšles. Il n’existe pas de mĂ©thodes ou de modĂšles alternatifs qui nous permettraient de rĂ©itĂ©rer ce succĂšs et l’impact positif de l’implant WIMAGINE sur la vie des patients.

 

Propos recueillis par AnaĂŻs Culot pour le Gircor

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